François Barcelo : Tant pis
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François Barcelo : Tant pis

François Barcelo a écrit de nombreux livres, raconté beaucoup d’histoires. Chaque fois, ou presque, il réussit à façonner une intrigue autour de pas grand-chose: une lubie, un flash, et parvient à capter l’attention de son lecteur…

François Barcelo a écrit de nombreux livres (plus d’une vingtaine, dont certains pour la jeunesse), raconté beaucoup d’histoires. Chaque fois, ou presque, il réussit à façonner une intrigue autour de pas grand-chose: une lubie, un flash, et parvient à capter l’attention de son lecteur (soyons clairs: de sa lectrice).

Avec Tant pis, il fait encore mouche. Une histoire de fous, à laquelle personne ne croirait si ça vous arrivait – mais tout le monde sait que la réalité dépasse souvent la fiction.

Le roman commence sous l’enseigne de cette étrange dédicace: «À Andrée Lachapelle, parce que je pense qu’elle habite à Saint-Ours et parce que j’espère que cette dédicace lui fera plaisir.» Comme d’habitude, François Barcelo ne prend pas les règles d’usage très au sérieux.

Cette impertinence qu’on lui connaît, il la développe tout à son aise dans cette histoire, où des hommes sont prisonniers sur un traversier à la dérive. Entre Saint-Ours et Saint-Roch, un petit bateau fait la navette sur le Richelieu pour transporter voitures et passagers d’une rive à l’autre. Un beau jour, le traversier perd toute attache avec la terre, et part à la dérive avec à son bord un certain Trefflé Yelle, et Martin Guertin, agent immobilier, inséparable de sa Mercedes. «L’agent immobilier était professeur de littérature avant de changer de métier. Aucune de ses deux professions ne lui a procuré les connaissances pratiques qui pourraient se révéler indispensables en pareille situation.»

Le portrait que trace Barcelo de son drôle de héros est hilarant; «paresseux et fier de l’être», il aura, dans une vie antérieure, essayé d’écrire un roman, sans succès, après avoir enseigné Gaston Miron. «[s]es oeuvres complètes tenaient en un seul et unique petit volume, L’Homme rapaillé, dont tout le monde disait du bien mais que presque personne n’avait lu.» Guertin décide donc de rédiger son mémoire dont le titre, Norim Notsga: une lecture à l’envers de l’homme élliapar, parodie tous les titres et sujets catalogués sur les rayons des bibliothèques universitaires… Guertin obtient son diplôme sans s’être trop cassé la tête; il aura lu le recueil de Miron à l’envers, mais n’aura pas compris grand-chose de la portée politique et sociale de sa poésie.

Or, c’est grâce à la littérature qu’il rencontre sa femme, plus travailleuse que lui, plus intelligente aussi, et qu’il tente désespérément de joindre avec son cellulaire, tout seul sur son traversier. Son passé de littéraire n’arrange rien. «Il n’a jamais été très doué pour les choses de la vie quotidienne. Faire la cuisine. Coudre un bouton. Remplacer un fusible. Donner des ordres à un mécanicien. Même conduire une voiture et la garer en ville sans égratigner la peinture ou les chromes. C’est le lot des intellectuels, se dit-il souvent et fièrement, car, à l’encontre des intellectuels de son pays, il s’est toujours vanté d’en être un même s’il est le seul à se croire tel.»

Sale destin
François Barcelo a le sens du ridicule, il va sans dire. De livre en livre, il se moque des institutions, du conformisme, de ses semblables, de la politique québécoise, entre autres. Dans Tant pis, il pointe avec justesse la faiblesse de Guertin qui réalise malgré lui que sa vanité et sa suffisance ne le sortiront pas du pétrin.

Barcelo fait dans la satire. «Martin est souverainiste depuis toujours. Il n’a jamais milité, n’a jamais manifesté, a souvent tardé à renouveler sa carte de membre des partis souverainistes, mais il a toujours voté pour eux. Il lui est arrivé d’avoir des discussions politiques enflammées – mais uniquement avec des camarades qui avaient la même opinion que lui. De cette manière, il avait l’occasion d’exprimer ses convictions sans vexer personne ni se trouver coincé dans une discussion qui l’aurait forcé à dire des choses qu’il n’avait jamais dites, à réfléchir à des choses auxquelles il n’avait jamais eu envie de penser.»

Le thème politique figure au premier rang dans le roman de Barcelo. Débutant comme une chronique sociale des us et coutumes des traversiers du Richelieu (on a droit à plusieurs données historiques fort intéressantes sur le sujet), la dérive du traversier s’apparente de plus en plus à une certaine image de notre destin national (je ne vous révèle pas où finira le traversier!). Parallèlement à cette allégorie, le romancier développe des personnages pleins de caractère. Bien que le style littéraire de Barcelo soit loin d’être stupéfiant, son humour et son sens du récit sont plus que convaincants. Rares sont les auteurs qui donnent à lire des pages aussi désopilantes. Pourquoi s’en priver???

Tant pis
Éd. Vlb, 2000, 213 p.