Michel Lefebvre : Les Avatars de Bertin Lespérance
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Michel Lefebvre : Les Avatars de Bertin Lespérance

La vie est absurde; et si vous en doutez, ce n’est pas la lecture des nouvelles de Michel Lefebvre qui va vous convaincre du contraire. Avec son héros caméléon qu’il transporte d’une histoire à l’autre, qui se réincarne d’une fois à l’autre dans une personnalité différente mais toujours sous le même pseudonyme, et que l’auteur s’acharne à placer dans des situations parfois aussi cocasses qu’incongrues.

La vie est absurde. Les oranges gèlent en Floride; un chirurgien grave ses initiales sur le corps de sa patiente, Cubains et Américains s’arrachent la paternité d’un petit garçon qu’ils vont finir par rendre fou. La vie est absurde; et si vous en doutez, ce n’est pas la lecture des nouvelles de Michel Lefebvre qui va vous convaincre du contraire. Avec son héros caméléon qu’il transporte d’une histoire à l’autre, qui se réincarne d’une fois à l’autre dans une personnalité différente mais toujours sous le même pseudonyme, et que l’auteur s’acharne à placer dans des situations parfois aussi cocasses qu’incongrues. Tantôt secrétaire de l’homme le plus riche (et le plus fou) du monde, tantôt pilier de bar nostalgique, tantôt mystérieux chapelier, ici narrateur, ailleurs témoin, héros ou simple figurant, il s’appelle toujours Bertin Lespérance, et son cas est presque toujours désespéré.
En utilisant cet amusant subterfuge du héros aux identités multiples, l’auteur de La Douceur du foyer (Éd. Herbes Rouges, 1996) s’amuse à fond (tout comme il s’amuse à coiffer ses nouvelles d’un proverbe tiré de la culture populaire) et en profite pour nous démontrer, toujours par l’absurde, que le sens de la vie demeure un insondable mystère.
Dans Quand il pleuvra de la bouillie, les mendiants auront des fourchettes, Bertin Lespérance, téléphage vaincu, idolâtre les vedettes du petit écran au point de voir la vie comme une vaste campagne de pub. Dans Le voleur qui court est un roi, le narrateur, qui rêve jusqu’à l’obsession de posséder un sac de cuir fabriqué par un certain Bertin Lespérance, est poussé au vol. Qu’ils passent leur soirée à chercher dans leur mémoire le souvenir le plus banal qui soit (Vaincu, on sera réduit en cendre; vainqueur, en charbon de bois); qu’ils rêvent de devenir des héros en retrouvant le chat dont l’avis de recherche est placardé un peu partout dans le quartier (Personne ne sort de son lit pour dormir par terre) ou qu’ils se disputent la non-paternité d’un exte de chanson pourtant excellent (Un vaisseau vide sonne plus haut que le plein): les personnages des Avatars de Bertin Lespérance se heurtent tôt ou tard contre le mur des illusions.
Devant le destin, qui ne rigole pas, tout ce beau monde demeure impuissant et hagard, comme des enfants contemplant une équation incompréhensible. Toutes les nouvelles de ce recueil ne sont pas d’égal intérêt, malheureusement. Certaines tombent à plat, ou semblent étrangères à leurs voisines. La langue n’y est pas toujours très précise («dépenser
quotidiennement $ 500,000 par jour», c’est un peu redondant; écrire: «Un été, j’ai été moniteur une année», assez inélégant). Mais à défaut d’être remarquable, le style de Lefebvre est efficace. Le ton, lapidaire, rapide. Et, dans l’ensemble, on retrouve, sinon une fine plume, du moins un regard, des idées originales, des préoccupations peu banales, et un intérêt marqué pour «tous ces petits riens qui font que notre existence se transforme». p>Éd. Les Herbes Rouges/nouvelles, 1999, 121 p.