Andrée Laurier : Mer intérieure
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Andrée Laurier : Mer intérieure

Écrit au présent, sans souci de détailler la chronologie (les saisons seules marquent l’avancée du temps), comme si la vie était faite de la superposition d’un éternel présent, ce deuxième roman d’Andrée Laurier exige patience et attention, et  lenteur.

Elle a perdu son père trop tôt, et sa mère, trop tard pour pouvoir jamais l’oublier. Elle a vingt et un ans, mais en fait beaucoup plus. «On m’a trop larguée pour que je consente à la moindre naïveté, admet la narratrice de Mer intérieure, le dernier roman d’Andrée Laurier. Je ne suis pas vieille, mais. Trop d’expérience de fuites. La soustraction ambulante et rétive: ainsi suis-je devenue Claudia Bresson, une et intense.»
La mère de celle qu’Andrée Laurier fait s’exprimer dans Mer intérieure a perdu la vie dans un accident de voiture. Une collision mortelle. Celle qui conduisait l’autre véhicule, Hélène Roberts, a eu la vie sauve. Mais sa mémoire s’est vidée de tout souvenir. Hélène Roberts est «renée» à l’âge de vingt-sept ans. Vierge de tout passé antérieur. Et c’est vers cette femme que Claudia décide de diriger ses pas, en cet automne où débute le roman de Laurier, alors que sur la plage du Maine où elle s’est réfugiée, elle «s’abreuve d’un sourire de la terre où le ciel et l’eau s’emmêlent». Elle, Claudia Bresson, ira emmêler sa mémoire au perpétuel présent d’Hélène Roberts.
Écrit au présent, sans souci de détailler la chronologie (les saisons seules marquent l’avancée du temps), comme si la vie était faite de la superposition d’un éternel présent, ce deuxième roman d’Andrée Laurier (L’Ajourée, Vent d’ouest, 1998) exige patience et attention, et lenteur. Alors seulement peut-on goûter à cet univers chargé de songes et de poésie, qui interroge l’existence avec courage et humilité. Un jour, Claudia retrouvera Hélène, qui habite un petit logement sombre de Montréal. Frêle Hélène qui n’a pour seul ami que Simon, le nain, son voisin de palier et ange gardien. Si Hélène n’a plus de mémoire que celle de sa vie après l’accident, plus d’enfance, plus de source, elle semble tout de même avoir appris des choses sur le monde qui échappe au commun des mortels.
Comme le «non-être», le «plus beau côté». Ensemble, Claudia et Hélène vont réussir à retrouver une sorte d’équilibre, quelqe chose qui ressemble à une raison de vivre. Ésotérique, cette histoire où il est question du sens de l’existence et de la dissolution de l’ego? Peut-être un peu. Mystique, aussi. Avec de légers accents métaphysiques. Comme d’autres cherchent qui ils sont, Claudia cherche quand elle est, où elle est, et ce qu’il importe de vivre. «Il faut grandir, dira-t-elle. On ne sent jamais par où. Le temps s’en charge,
peut-être, cette convention.» Tout cela peut paraître lourd. Ce l’est parfois. Lorsque les dialogues chassent le naturel pour galoper vers des sommets parfois indéchiffrables. «Le non-être (…), dira Hélène, c’est embrasser en souriant un soleil noir. Tu sens, à présent!» Dans Mer intérieure, on ne parle pas comme dans la vie, encore moins comme dans un
téléroman, on parle comme dans un livre, comme un livre, et c’est à prendre, ou à laisser. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine: Andrée Laurier a une voix bien à elle, belle et exigeante, une voie dans laquelle elle poursuit bon an, mal an, qui n’appelle pas le succès mais impose le respect.

Mer intérieure
d’Andrée Laurier
XYZ, collection Romanichels, 1999, 203 p.