Fernando Pessoa : Le Livre de l'intranquillité
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Fernando Pessoa : Le Livre de l’intranquillité

Le Livre de l’intranquillité , de Fernando Pessoa, est un des grands livres du 20e siècle. Voilà que l’ouvrage de l’écrivain portugais est enfin disponible en édition intégrale.

Le Livre de l’intranquillité

, de Fernando Pessoa, est un des grands livres du 20e siècle – à mettre au même rayon que l’Ulysse de Joyce, À la recherche du temps perdu de Proust, Voyage au bout de la nuit de Céline, Le Procès de Kafka et L’Homme sans qualités de Musil. Voilà que l’ouvrage est enfin disponible en édition intégrale.
L’oeuvre de Pessoa est des plus étonnantes. Cet écrivain portugais (né en 1888 et mort en 1935) a publié peu de chose de son vivant, accumulant au fil des décennies des milliers de pages de manuscrits qu’il conservait dans une malle. À sa mort, on y a découvert un trésor. Selon les thématiques qu’il explorait et les styles qu’il adoptait, Pessoa signait ses textes de divers hétéronymes, parmi lesquels se distinguent ceux d’Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Álvaro de Campos et Bernardo Soares, ce dernier nom étant celui de l’«auteur» du Livre de l’intranquillité.
Cet ouvrage inachevé a été reconstitué à partir d’un ensemble d’un peu plus de 500 fragments: certains longs de quelques pages, d’autres comptant tout juste quelques lignes, dont la rédaction s’est échelonnée sur les vingt dernières années de la vie de Pessoa. L’édition du Livre de l’intranquillité qui est désormais disponible en français dans une traduction de François Laye constitue la première version intégrale de l’ouvrage.
Le Livre de l’intranquillité se présente sous la forme d’un ensemble de notes rédigées au jour le jour par Bernardo Soares. Ce dernier exerce «un travail ressemblant à une sieste paisible»: il est comptable dans une petite entreprise de la rue Douradores, à Lisbonne. Il habite dans une petite chambre donnant sur la même rue et, lorsqu’il n’est pas en train de lire ou d’écrire, il regarde par sa fenêtre qui donne sur cette rue à laquelle se limite pratiquement toute son existence: «Si je tenais le monde entier dans ma main, je l’échangerais, j’en suis sûr, contre un billet pour la rue Douradores.»
Bernardo Soares n’a strictement ren à raconter; les pages qu’il écrit au fil des années constituent, et il en est parfaitement conscient, une «autobiographie sans événements». Dans son «livre fait de hasard et de réflexion», il ne cesse de faire état de l’«insatisfaction paisible» d’une «vie où il ne se passe rien, sauf dans sa conscience d’elle-même». Et c’est là le sujet du Livre de l’intranquillité: le vide d’une existence, le vide de toute forme d’existence.
Partant du constat que l’humain n’est rien de plus qu’un «amoncellement intellectuel de cellules», qu’une «excroissance superflue de l’animal», Bernardo Soares questionne inlassablement ce qui lie ses sensations à ce qu’il appelle «la stupéfiante objectivité du monde». Il envie tout ce qui, comme les animaux, comme les plantes, ne fait que vivre sans avoir conscience d’être en vie; il cherche à se définir un mode d’existence qui aurait l’humilité de la matière: «(…) pouvoir me réincarner dans une pierre, dans un grain de poussière – mon âme en pleure de désir.»
Fernando Pessoa nous dit qu’il n’y a pas d’au-delà, que la vie n’est rien d’autre que l’ici-bas, et que c’est là notre unique chance de goûter au bonheur: «Heureux celui qui ne demande pas plus à la vie qu’elle ne lui offre spontanément, et qui suit l’exemple donné par l’instinct des chats, qui recherchent le soleil quand il fait soleil et, en son absence, la chaleur, où qu’elle se trouve.» Le Livre de l’intranquillité est une invitation à vivre avec nos sens – ce qui constitue sans doute la manière de vivre la plus sensée qui soit.
Le Livre de l’intranquillité
de Fernando Pessoa
Éd. Christian Bourgois, 1999, 575 p.