

Joël Champetier : L’Aile du papillon
Joël Champetier a vingt ans de métier, et publie autant pour les jeunes que pour les adultes. Ouvrant dans la science-fiction, la fantasy et le policier, l’écrivain préfère mélanger les genres, plutôt que de respecter des frontières imaginaires. Comme dans L’Aile du papillon, un roman où enquête et folie font très bon ménage.
					
											Christine Fortier
																					
																				
				
			De l’avis même de Joël Champetier, auteur de science-fiction, touchant à l’occasion la fantasy et le fantastique, L’Aile du papillon est son roman le plus bizarre. En effet, ce qui devait être au départ un polar est devenu, au fil de l’écriture, un roman policier aux forts éléments de fantastique, le tout souligné à grands traits d’humour et d’ironie. «En fait, confie Champetier, j’ai choisi des personnages hauts en couleur car un institut psychiatrique, le lieu où je situe l’histoire, peut s’avérer déprimant.» Cette idée d’un détective privé infiltrant un hôpital psychiatrique lui a été inspirée il y a une vingtaine d’années, alors qu’il rencontrait un privé ayant vécu ce genre d’histoire.
  Tous genres unis
Ainsi, L’Aile du papillon propulse le lecteur dans un  milieu fermé qui permet toutes sortes de dérives, parce que les  patients ne sont pas «normaux», situation offrant à l’écrivain  un fort potentiel romanesque. «L’Aile du papillon est un roman:  mais on peut se demander où se situe la frontière entre le  normal et l’anormal. Car mes patients en psychiatrie ne sont  pas si fous que ça, même si leur vision de la réalité n’est pas  normale. Tandis que le psychiatre, lui, est plutôt étrange. En  fait, tous les psychiatres le sont!…»
  Pour explorer cette frontière, Champetier a bâti une histoire  qui gravite autour du monde fantasmatique de Kevin, jeune  autiste interné au Centre hospitalier Saint-Pacôme, situé à  Shawinigan. Lorsque le directeur de l’institut spécialisé dans  les cas psychiatriques lourds engage le détective Michel Ferron  pour enquêter sur un trafic de médicaments à l’intérieur des  murs, une porte s’ouvre vers le monde fantasmatique de Kevin:  un univers imaginaire composé par les Amis de la forêt, un  groupe recruté par l’Ambassadeur du royaume d’argent afin de  combattre les nazis et les barbies, responsables d’un trafic de  seringues, toutes des histoires inventées par le jeune autiste.  «Le personnage de Ferron est le catalyseur. Dès son arrivée à  l’hôpital, une espèce de télépahie s’installe et influence tout  le monde, autant les patients que les employés.» Pour l’auteur,  il est évident que le monde de Kevin est responsable des  événements qui mèneront à la découverte du trafiquant; mais,  bien sûr, une seconde lecture des événements est possible.  «Beaucoup de mes lecteurs en sont venus à la conclusion que les  médicaments distribués aux patients … sont la source de  l’existence des Amis de la forêt, provoquant des hallucinations  et des rêves.»
  Si le mélange des genres littéraires n’est pas intentionnel  chez l’auteur, il lui permet néanmoins de rejoindre un plus  large public. «J’aimerais écrire des classiques du genre sauf  que, pour faire du nouveau, ou pour ne pas refaire ce qui l’a  été, on va dans d’autres directions. Dans La Peau blanche (Éd.  Alire, 1997), le mélange des genres était flagrant. Dans L’Aile  du papillon, c’est venu de façon plus naturelle. Je m’intéresse  à différents styles et, à mon avis, le métissage permet d’aller  chercher les forces de chacun d’eux: le polar, c’est la  mécanique, le dosage de l’information; le fantastique, c’est la  déstabilisation et la science-fiction, c’est l’invention. Je me  dis qu’il y a moyen de prendre le meilleur de chacun de ces  genres et de les réunir pour intéresser les gens qui lisent  tous ces genres-là.»
  Histoire de jouer
Selon Champetier, l’utilisation du fantastique donne  également plus de liberté créatrice à l’écrivain, qui a tout de  même fait une bonne recherche pour assurer une cohésion à son  roman. «J’ai parlé à deux détectives privés, à une  orthopédagogue, à des médecins, et lu des livres sur les  autistes. Je voulais que l’aspect "polar" du roman soit le plus  serré possible mais, évidemment, quand quelque chose ne  convenait pas, c’était plus facile de dire: "C’est pas grave,  c’est du fantastique"!» Cela dit, le personnage de Michel  Ferron colle parfaitement à la réalité. «Je voulais qu’en  parallèle avec l’aspect assez délirant, le détective soit vrai.  D’ailleurs, c’est amusant, il y a des lecteurs qui ont été  hrrifiés par mon détective, tellement il est nul et impuissant  à faire avancer sa mission. Mais les deux professionnels qui  ont lu le manuscrit ont trouvé que c’était bien: un détective  privé, c’est très plate!» lance Champetier en riant.
  Autant Michel Ferron est un gars «gris», pour utiliser les  termes de l’auteur, autant Kevin est mystérieux et fascinant.  «Les autistes sont fascinés par la précision, la technique,  l’histoire. Ils sont aussi très frustrés, et ils font des  colères épouvantables. J’imaginais que dans son monde  fantasmatique, ce serait très enfantin. Une espèce de Toy Story  pour adultes, avec des pulsions d’une violence extrême  désamorcées par l’aspect comique des scènes.»
  Pour illustrer cet aspect, Champetier a choisi les nazis et les  barbies pour incarner les créatures archétypales du roman  fantastique que sont habituellement le loup-garou et le  vampire. «Dans l’imaginaire contemporain, les nazis et les  barbies sont un peu leurs descendants. Aujourd’hui, les  premiers sont devenus des créatures aussi fantastiques et  identifiables que le loup-garou. Nazis = méchants,  automatiquement. Quant à la barbie, c’est la caricature de la  femme contemporaine.»
  Tout au long du récit, l’auteur distille l’information de  manière habile, permettant aux lecteurs de reconstruire le  casse-tête et tenter d’émettre des hypothèses pour résoudre  l’énigme. Par-dessus tout, l’utilisation des différents genres  littéraires donne du souffle à l’histoire, la rendant plus  légère et permettant l’emploi d’images étonnantes; comme ce  «Bonhomme au fouet» qui est en fait le père Noël, ou encore  cette utilisation des «gaz» des vaches remplaçant le  combustible… Des scènes parfois violentes mais tellement  grotesques qu’elles font naître un sourire. Tout ça fait de  L’Aile du papillon un polar fantastique plutôt  rafraîchissant.
  En plus de poursuivre l’adaptation cinématographique de La Peau  blanche – Champetier en est à la troisième réécriture du  scénario -, l’auteur, également codirecteur de la revue  Solaris, a commencé unroman jeunesse et un autre de fantasy  pour adultes. Sans oublier que La Mémoire du lac (Éd.  Québec/Amérique, coll. Sextant 3, 1994) sortira chez l’éditeur  américain Tor Books qui a déjà publié La Taupe et le Dragon en  1998. Des histoires à suivre!
  L’Aile du papillon
  Éd. Alire, 1999, 384 p.