Andrea H. Japp : La Raison des femmes
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Andrea H. Japp : La Raison des femmes

Gloria Parker-Simmons, qui cache un passé douloureux, un casier judiciaire où l’on a dû inscrire «légitime défense», et une enfant atteinte de déficience intellectuelle qu’elle visite le plus souvent possible, à l’autre extrémité du continent, est un esprit cartésien dans un corps blessé issu de l’imaginaire de la Française Andrea H. Japp.

Elle n’est ni inspecteur, ni détective, ni profileur, elle est mathématicienne. Mathématicienne de génie, dotée d’un extraordinaire esprit de synthèse, capable de réduire à leur plus simple expression les imbroglios les plus meurtriers, de trouver le dénominateur commun entre des crimes qui n’ont en apparence aucun lien. Résoudre une énigme en cherchant «l’essence de la chose», voilà ce qu’elle sait faire, Gloria Parker-Simmons. Et voilà pourquoi le FBI a souvent recours à cette femme, ayant subi les violences d’un beau-père incestueux, qui est devenue alcoolique, anorexique, maniaque d’hygiène, mais qui a trouvé, dans le monde froid, logique, contrôlable, des chiffres, une formidable forteresse où se réfugier.
Cette héroïne américaine, qui cache un passé douloureux, un casier judiciaire où l’on a dû inscrire «légitime défense», et une enfant atteinte de déficience intellectuelle qu’elle visite le plus souvent possible, à l’autre extrémité du continent, cet esprit cartésien dans un corps blessé est issu de l’imaginaire de la Française Andrea H. Japp. Toxicologue de formation, auteure de polars qui ont cette particularité d’être écrits en français mais situés aux USA, de sorte qu’on a la joyeuse impression, pour une fois, de lire un polar américain formidablement bien traduit!
Dans La Raison des femmes, James Cagney, l’amoureux de Gloria, profileur pour le FBI, est aux prises avec un double meurtre particulièrement hideux et indéchiffrable. Deux hommes d’affaires sont assassinés dans une résidence privée. La maison a été saccagée pour faire croire à un cambriolage. Mais ni le FBI, ni les flics du Boston Police Department (le vieux Da Costa et la fraîche Squirrel, formidable tandem) qui bûchent sur cette sale affaire ne croient au mobile du vol. Car après autopsie, on a découvert que l’arme utilisée est la même qui avait servi, dix ans auparavant, à assassiner un couple de chirurgiens.
Pendant que tout le monde se perd en conjectures, que d’autres meurtres se produisent, Gloria tape urieusement sur son ordinateur, entre chacune des données, essaie mille et une combinaisons. Mais quand elle arrive enfin à la résolution finale, quand tout devient limpide, elle se referme comme une huître, et refuse de dévoiler ses conclusions au FBI.
De son poste de narratrice omnisciente, Andrea H. Japp contrôle tout. Construisant son histoire avec une remarquable habileté, nous propulsant à haute vitesse entre la Californie, le Massachusetts et la Virginie, elle arrive avec une grande maîtrise à bâtir une intrigue qui ne se contente pas seulement de divertir, mais pose de délicates questions, comme celle de la légitimité de la vengeance, qui hante Gloria, cette héroïne tragique, triste et belle, cette «martienne», comme le dira Cagney, puisque «son vrai langage, celui qu’elle comprend, qu’elle maîtrise le mieux, ce sont les mathématiques». Une martienne, Gloria? Soit. Alors ce sera ma martienne favorite.
Éd. du Masque, 1999, 387 p.