Et les mouettes tournoient… – Mario Cyr : L'écriture ou la mort
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Et les mouettes tournoient… – Mario Cyr : L’écriture ou la mort

Le second roman du rédacteur et journaliste Mario Cyr, Et les mouettes tournoient obstinément au-dessus de nos corps, frappe un grand coup. Âmes sensibles et bien-pensants, s’abstenir!

Avec un premier roman-vérité intitulé L’éternité serait-elle un long rêve cochon? (Éditions de Mortagne, 1997), le rédacteur et journaliste Mario Cyr avait fait une entrée remarquée dans le monde littéraire. Criant de vérité, touchant, bouleversant, dérangeant, son récit au «je», à rebours, de la vie d’un jeune gai mort du sida après avoir pleinement profité des jouissances qu’offre l’existence, assenait un choc aux lecteurs.
Son second roman, Et les mouettes tournoient obstinément au-dessus de nos corps, frappe encore une fois un grand coup. Âmes sensibles et bien-pensants, s’abstenir! On n’en finirait plus de dénombrer les oeuvres de fiction, romans, films, pièces de théâtre, inspirés de l’enfance abusée. Et à en juger par les horribles faits divers qui inondent les médias populaires, on n’a pas fini d’en voir et d’en entendre. Chaque fois, cependant, il faut trouver les mots qui diront l’indicible, la révolte, la violence, pour chaque fois toucher un peu plus celui qui fait office de témoin muet, spectateur ou lecteur.
Mario Cyr y parvient totalement en s’effaçant devant sa narratrice et personnage principal. Cette fois, il donne la parole à une jeune fille, adolescente de quinze ans que ses parents prostituent depuis l’âge de huit ans. Histoire affreuse commencée un matin de Pâques à la campagne, chez sa grand-mère. Le frère de son père, le plus jeune de ses oncles, a emmené l’ enfant en promenade dans la nature. Puis l’a violée, par-derrière, lui déchirant l’anus, ce qui nécessitera une brève hospitalisation.
«Mon père, attiré jusque dans cette clairière par l’instinct ou le hasard, le surprendra, mais ne criera pas, ne se jettera pas sur lui, ne lui défoncera pas le crâne à coups de botte. Ce sera donc toujours la nuit? / Il va plutôt négocier, monnayer son mutisme, sa discrétion, l’oeil brillant, le sourire méprisant. C’est à huit ans que j’apprends le prix du silence.»
Un soir, pour se venger de ne pas avoir été le premier, le père vient à son tour dans la chambrede la petite, la défonçant cette fois par-devant. Elle ne pourra jamais avoir d’enfants, lui apprend plus tard le médecin. Dès lors, elle sera le jouet d’un commerce lucratif pour ses parents: les hommes défilent dans la chambre où on l’a enfermée. Pour survivre à cela, la fillette a tôt fait d’apprendre à séparer son corps de sa tête. Puis elle a les livres, qui l’aident à comprendre la vie et le bonheur libérateur, anticipé, de la mort.
Lorsque enfin elle s’enfuit, c’est auprès des putes qu’elle trouve refuge. Puis auprès d’un homme condamné par un cancer du cerveau. Elle connaît enfin l’amour en respirant pleinement l’odeur de la mort.
Tout en phrases courtes, implacables, le style de Mario Cyr a la concision et la vision claire des poètes. Toute une vie de misère, de douleur et, malgré tout, en bout de ligne, de beauté, défile sous sa plume. Une bataille dans une ruelle, une scène bouleversante à l’hôpital où se meurt une vieille femme, le châtiment violent du père qui a retrouvé sa fille, jalonnent ce récit très troublant. Où l’écriture, comme il y est dit de la mort, semble «se résumer à un travail de condensation».
Et les mouettes tournoient obstinément au-dessus de nos corps
de Mario Cyr
Éd. Les Intouchables, 2000, 120 pages