Bis-Monique Bosco : Voix croisées
Livres

Bis-Monique Bosco : Voix croisées

Après avoir donné un bon nombre de romans, de nouvelles, de recueils de poésie, Monique Bosco se livre avec Bis au récit autobiographique, dont elle avait livré un premier volet, Confiteor, il y a deux  ans.

«Sans doute, nous voulons tous laisser une image retouchée de nous-mêmes, une image qui nous flatte mais surtout nous rassure», écrit la narratrice de Bis. C’est probablement le souhait de chacun d’entre nous de laisser la meilleure image possible, mais pour les écrivains, il y a toujours la possibilité de réécrire leur vie. C’est l’entreprise des mémorialistes, de Chateaubriand à Nathalie Sarraute, en passant par Monique Bosco, auteure dont l’oeuvre fut récompensée par le prix Athanase-David en 1996.
Après avoir donné un bon nombre de romans, de nouvelles, de recueils de poésie (elle a aussi écrit pour le théâtre), cette grande dame de la littérature québécoise se livre à cet exercice difficile, dont elle avait livré un premier volet, Confiteor, il y a deux ans. Difficile, parce qu’il suppose un risque: celui de devoir regarder derrière l’épaule, et de mesurer le chemin parcouru, les occasions manquées, les conséquences de ses choix.
Dans le cas de Monique Bosco, tout l’intérêt tient dans le fait que le récit de ses mémoires est intimement lié à la littérature, qu’elle a choisie dès sa tendre enfance, et qu’elle a enseignée, travaillée, lue, pendant quarante ans (Un amour maladroit, son premier roman, a été publié en 1961). C’est donc cet aspect qui retient l’attention, puisque l’autobiographie, tout le monde le sait, n’est jamais la vérité: quoi de mieux que la littérature pour raconter sa vie? On refait, on repasse par ci par là, et surtout, comme le fait Monique Bosco, on dialogue avec d’autres écrivains pour mieux se comprendre, mieux se relire. «Donc, à partir d’aujourd’hui, j’aborderai la vie d’une autre manière. Évidemment, c’est plus facile à envisager qu’à faire. Et par où commencer? Par le commencement, sans doute. Mais, déjà, une sourde colère m’envahit. Il ne me restera plus rien d’intact, il va falloir barbouiller le gris de bleu et de rose! Et j’aime, ou plutôt j’aimais le gris. Plutôt que de me mettre à la tâche, je suis retournée à mes lectures. En ce domane, je n’aurai pas à mentir.»
Les livres serviront de miroir à l’auteure, mais c’est par la réfraction des images qu’elle évoque qu’on lira ce récit autobiographique. Ainsi, c’est par le biais des textes de Marguerite Duras, Flaubert, Gertrude Stein, Simone de Beauvoir, Chateaubriand et Nathalie Sarraute, notamment, qu’on découvre des moments d’enfance, d’adolescence, des souvenirs auxquels Bosco s’identifie, et qu’elle interprète, comme une relecture de sa propre vie. «Puisque ce texte de Sarraute me sert de révélateur de ma propre enfance, de mon propre amour pour ma mère, je m’aperçois de nos duplicités premières comme de l’étendue et de l’ardeur de nos passions. Car ma mère à moi, je ne l’ai jamais comparée à quiconque, l’idée ne me serait pas venue de lui trouver une rivale.»
En appuyant son récit sur ceux d’autres écrivains, Monique Bosco, par un habile procédé, voile son propre récit, mais permet au lecteur de prendre contact à la fois avec elle, et avec lui-même: l’enfance, si elle est différente pour chacun de nous, n’est-elle pas un roman que l’on se construit pour mieux exister en tant qu’adulte? Le «vert paradis» n’est-il pas le lieu inaugural de toute création?
Bien sûr, l’auteure ne parle pas que de son enfance, mais aussi des enfants; et de la guerre, de l’éducation des filles, de politique, de la peine de mort, de Le Pen, de la télé, de la solitude, de la colère (elle évoque celles de Houellebecq et Soucy), des destins féminins, de son propre destin si étroitement lié aux livres.
Et elle laisse filer au compte-gouttes les détails de sa propre vie, «tentation de bourgeois» comme l’écrivait Flaubert, dont elle évoque la correspondance. Elle aussi résiste à cette tentation, et, autobiographie oblige, donne le plus important: sa voix.

Bis, de Monique Bosco
Éd. Hurtubise
1999, 168 p.