Carnets de naufrage-Guillaume Vigneault : Et vogue le navire
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Carnets de naufrage-Guillaume Vigneault : Et vogue le navire

Guillaume Vigneault publie un premier roman, Carnets de naufrage. Un récit initiatique, dans lequel le voyage agit comme un révélateur, une seconde naissance.

«L’orage est passé au bout d’une vingtaine de minutes, déplaçant sa rage vers l’est, tandis qu’une brise chaude prenait sa place. Je me suis remis au volant et, après plusieurs essais, le moteur a redémarré en toussotant. J’étais trempé jusqu’aux os mais je n’avais pas froid. Lorsque je suis arrivé chez moi, le ciel s’éclarcissait par endroits, laissant traverser des rayons de lune.» Comme une métaphore du roman qu’ouvre ce quatrième paragraphe de Carnets de naufrage, c’est aussi un orage que traverse Alex, son héros. Peine d’amour, crise d’identité, crise existentielle – les trois ne sont-elles pas la même chose? -, sont en effet au coeur de cette dérive. Sujet déjà vu – bien sûr -, mais rendu avec talent par Guillaume Vigneault, dans ce premier livre.
Alex, barman à L’Asile, a laissé tomber la littérature (mais il y fait souvent référence au cours de son récit) et perd la femme de sa vie. «Marlène m’avait fauché au ras du sol, sauvagement, sans avertissement, et mon débitage ne faisait que commencer. Mais ce matin-là, je sentais de nouveau ma sève.» Cette dérive mènera vers une lente remontée vers la lumière, ce que raconte Vigneault dans ce récit d’apprentissage, dont chaque étape marque un progrès vers l’acceptation d’une nouvelle vie, sans la femme aimée.
Alex, pour survivre à cette rupture, partira au bord de la mer, avec Camille; et puis au Mexique, avec Katarina. Ni l’une ni l’autre ne combleront le vide que ressent le narrateur. Mais il le sait. Et il cherche à comprendre ces femmes, qu’il n’aime qu’en surface, et avec lesquelles il se perd un peu plus: après le plaisir, que reste-t-il de leurs amours? Pas grand-chose, juste un peu plus de solitude. «Depuis l’atterrissage, en fait, elle était particulièrement rêche avec moi. (…), nous avions l’air d’un couple blasé se livrant une sourde guerre.»
Ce n’est pas dans les bras des femmes qu’Alex se livre aux plus fructueuses introspections, mais dans ses échanges avec les hommes qu’il croisera tout au long de son périple. À comencer par Yannick, jeune propriétaire d’un petit bar aux alentours de Puerto Vallarta. Celui-ci lui rappellera que c’est grâce à leur amitié qu’il s’est sorti d’une mégagalère, et qu’il aura réussi à retrouver un peu de bonheur. Bien installé dans sa dolce vita, il passe son temps au soleil, à faire de la musique et à très bien gagner sa vie. Puis il y a Bernard, capitaine déchu, sorte d’ermite voguant sur son bateau, et que ses cinquante-sept ans n’empêchent pas de surfer. C’est avec lui qu’Alex prendra ses leçons, apprendra à connaître les vagues, leur mouvement, leur vitesse.
On boit et on fume beaucoup dans le roman de Guillaume Vigneault, qui donne aussi aux sens une large place. De son écriture sensuelle, voire sensorielle, le jeune écrivain rend les couleurs, les matières, les ambiances avec une grande acuité. Ce qui devait être un roman d’initiation devient alors quelque chose de plus personnel – à la manière des romans de Serge Lamothe (La Longue Portée) ou de Yan Muckle (Le Bout de la terre). De cette expérience des limites, de ce jeu avec les extrêmes, avec le danger même, Vigneault a tiré un récit original dans lequel se déploient un imaginaire, un univers. Comme Muckle et Lamothe, d’autres encore, il dévoile un regard singulier sur la vie d’un homme d’aujourd’hui pour qui l’intimité n’est plus un tabou, ni la vulnérabilité une faiblesse.«Je prends des bains quand quelqu’un meurt, surtout. Mon dernier remontait à la mort de Fred, mon parrain. J’étais resté toute la nuit dans la baignoire à grelotter comme un imbécile, comme pour me punir de ne pas l’avoir appelé durant toutes ces années, juste pour lui dire bonjour, l’inviter à prendre un café, le laisser me dire que j’avais encore grandi, des conneries comme ça, des conneries fondamentales.»
Avec ses symboles (l’eau, surtout, mais laissons là la psychanalyse…), ses scènes inaugurales (celle avec Bernard, entre autres, où Alex découvre son pouvoir sur lui-même), un humour qui désamorce tout sentimentalisme, Vigneault – dot le patronyme pourrait être fort intimidant, et dont l’illustre papa s’appelle Gilles – m’a tout l’air d’avoir le vent dans les voiles.

Carnets de naufrage
de Guillaume Vigneault
Éd. du Boréal, 2000, 270 p.