La Relève littéraire : Un nouveau monde?
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La Relève littéraire : Un nouveau monde?

Y a-t-il une vie après un premier livre? La relève a-t-elle une place dans notre littérature? Les auteurs Geneviève Robitaille, Serge Lamothe, Guillaume Vigneault et Julie Hivon racontent leur expérience.

Ils se baladent avec un premier bouquin sous le bras, encore un peu étonnés de la résonance qu’ont leurs mots chez les autres. À défaut de refaire le monde, ceux-là ont choisi d’inventer le leur. Pour certains, la publication fut plutôt rapide; pour d’autres, il fallut être patients. Puis, c’est le saut dans le vide.

«C’est étrange d’avoir un livre qui se promène dans la nature», confie Guillaume Vigneault, 29 ans. L’auteur de Carnets de naufrage, un premier roman paru chez Boréal (voir critique page XX), résume en ces quelques mots l’état d’esprit des jeunes écrivains, dont les écrits passent de l’ombre à la lumière.

Les principaux intéressés n’en oublient pas pour autant les mois, souvent les années de labeur qui ont précédé la publication. Cette deuxième vie que trouvent leurs mots dans le regard des autres est l’aboutissement d’un processus ponctué de doutes, où chacun s’est répété mille fois les questions du pourquoi et du comment de l’écriture.

Première impression

Des questions, certains ont eu largement le temps de s’en poser, les éditeurs n’étant pas toujours pressés de leur répondre.

Serge Lamothe, par exemple, a dû se montrer patient. Il a attendu huit mois avant que le manuscrit de La Longue Portée ne soit retenu par les éditions L’instant même, puis un an de plus avant d’avoir le livre entre les mains. Sans compter qu’il avait déjà mis près d’une dizaine d’années à l’écrire et le réécrire (cinq fois, en tout et pour tout).

«C’est long, quand tu vis juste pour ça!» L’auteur de 37 ans, qui avait déjà publié des recueils de poésie à compte d’auteur, sous un pseudonyme – «heureusement!» lance-t-il en rigolant -, soutient cependant qu’il n’était pas prêt, auparavant, et ne regrette pas d’avoir été patient. «J’ai mis du temps à dire les choses exactement comme je voulais les dire.»

Ça valait le coup d’attendre. Paru en 1998, La Longue Portée a reçu un accueil critique des plus chaleureux. Cette histoire de dérive amoureuse et spirituelle a révélé un écrivain déjà mature, au style dense mais toujours précis. La suite, attendue, paraîtra d’ailleurs fin mars, sous le titre La Tierce Personne.

Julie Hivon, 29 ans, a vécu un tout autre scénario. Cette enseignante en cinéma au Collège Ahuntsic, qui a remporté le concours de nouvelles Voir en 1997, ne croyait pas que son livre serait en vitrine aussi vite. «Je m’attendais à ce que ça puisse prendre un an ou deux, mais comme je faisais ça en marge de tout le reste, ça ne me dérangeait pas. J’étais même prête à publier à compte d’auteur, un jour ou l’autre, mais tout a déboulé. XYZ éditeur a accepté de publier Ce qu’il en reste à peine deux semaines après avoir reçu le manuscrit!»

Quant à Geneviève Robitaille, alors âgée de 38 ans, elle a vécu la publication dans un mélange de bonheur et d’anxiété. L’automne dernier, elle publiait Chez moi (Triptyque), un premier roman où l’autobiographique fait bon ménage avec un imaginaire foisonnant.

Presque aveugle et contrainte par la maladie à ne pas travailler, Geneviève Robitaille a trouvé dans l’écriture, au départ, une occupation comme une autre. Encouragée par plusieurs, elle a vite réalisé que ça pouvait aller plus loin. Petit à petit, la littérature devenait une façon de s’exprimer pleinement et d’aller vers les autres.

«Chez Triptyque, on m’a quand même suggéré plusieurs modifications, se souvient-elle. Mais tout est dans le ton des commentaires. D’autres éditeurs m’avaient déjà adressé des recommandations, mais de manière très crue, sur un ton qui ne laissait pas de place à la discussion. Je me rappelle avoir été piquée au vif, une fois, au point de vouloir laisser tomber. Chez Triptyque, j’ai pu trouver un compromis entre ce qu’eux souhaitaient et ce qui me ressemblait.»

Les premiers échos critiques l’ont aussi rassurée sur certains points: «Je me suis rendu compte que je n’avais pas à dire tout explicitement. On n’a parfois qu’à bien suggérer les choses pour être compris. En fait, j’ai appris à faire confiance au lecteur. Par ailleurs, je sais que je vais être lue, maintenant, et ça m’angoisse un peu pour la suite.» Belle angoisse, non?

Service après-vente

Pour un nouvel auteur, partagé entre les impératifs de la vie et le besoin d’aller au bout de ses mots, l’équilibre est difficile à trouver. Le plus souvent, cet équilibre passe par le compromis. «Après avoir obtenu ma maîtrise en littérature, j’aurais pu aller porter mon CV à gauche et à droite, faire la tournée des collèges, faire des démarches pour être assistant de recherche. J’ai préféré un boulot simple, qui me permet de consacrer beaucoup de temps à l’écriture», raconte Guillaume Vigneault, toujours barman au Boudoir, sur le Plateau-Mont-Royal.

«Bon, je n’ai pas d’hypothèque et mon char a besoin d’un muffler, mais ça me convient très bien», ajoute celui qui ne voulait surtout pas, pour arriver à ses fins, utiliser son nom de famille (c’est-à-dire celui de son père Gilles).

Une fois le livre imprimé, le voilà objet esthétique mais aussi objet de commerce. Les auteurs, d’ailleurs, ne se sentent pas toujours à l’aise dans le rôle obligé de promoteur du livre. «Je ne ferais pas ça toutes les semaines», admet Guillaume Vigneault, qui découvrait ces derniers jours les rigueurs de la promo. Il faut dire que le jeune auteur n’a guère le syndrome de la pop star et s’avoue plus à l’aise à sa table de travail que sous les feux de la rampe. Le jour de notre rencontre, il s’apprêtait à participer à l’émission Les Choix de Sophie. «La télé, ça m’énerve un peu», disait-il en portant à sa bouche, d’une main tremblante, sa nième cigarette de la matinée.

N’empêche, il est fier de voir Carnets de naufrage, son premier roman, sur les rayons des librairies. «Si je suis allé porter mon manuscrit chez l’éditeur, c’est parce que je voulais publier, c’est sûr; mais tout ce qui entoure la parution, je trouve ça dur sur les nerfs. On me demande de parler très vite de choses complexes, de résumer mon livre en sound bites de trente secondes, alors que j’ai mis deux mille heures à l’écrire!»

«Quand on écrit, on est aveugle, et la réponse des autres devient aussi un besoin», poursuit Serge Lamothe. «Cela dit, je trouve ça un peu redondant de demander à un écrivain de parler de son livre. L’écrivain, ce qu’il a à dire, il le dit dans son livre. Je comprends qu’aujourd’hui, on attend d’un auteur qu’il soit capable de défendre son livre, mais si on lui demande de le vendre, ça devient carrément troublant.»

Au-delà de la promotion, Julie Hivon savoure ce genre d’échanges. «Parler de mon livre en entrevue m’oblige à me questionner sur celui-ci, à approfondir ma propre lecture. C’est étrange de constater que certains sont très sensibles à un thème a priori secondaire. Par exemple, d’autres accordent beaucoup d’importance à la dimension sociale de mon roman, alors que pour moi, tout est défini depuis l’intérieur; avant tout, c’est une histoire d’amour fou.»

Une relève en mouvement

En terminant, que pensent de la relève ceux qui en portent l’étendard? Faut-il y voir de nouvelles plumes dont on peut aisément caractériser la production, ou plutôt des jeunes qui n’ont d’autres points communs que celui d’écrire à la même époque?

François Couture, un jeune éditeur (l’Effet pourpre), trouve un peu creuses les tentatives d’accoler une étiquette à la nouvelle vague d’écrivains. «Il faut différencier "relève" de "mouvement". S’il y a une relève, c’est dans le désir de faire quelque chose de neuf, mais je ne pense pas qu’on puisse uniformiser ce "neuf".»

Les auteurs interrogés sont d’ailleurs peu enclins aux comparaisons. Quand on leur demande de qui ils se sentent proches, Christian Mistral revient quelquefois, Maxime-Olivier Moutier aussi, mais sans plus. «J’ai de l’admiration pour plusieurs, Pierre Yergeau par exemple, mais des affinités… je me sens bien mal placé pour en parler…», dit Serge Lamothe.

Guillaume Vigneault va dans le même sens. «J’ai des amis dans le milieu, des gens que j’apprécie. De là à dire que je fais partie d’une sorte de fratrie, non. J’ai toujours de la réticence à embarquer dans le bateau de la "génération". C’est sûr qu’on vit des choses semblables, et qu’il y a des lignes directrices qui peuvent se dégager dans le discours, mais avant de sentir que je fais partie d’une génération, je considère faire partie d’un quartier, d’une société…»

Heureusement pas trop homogène, la relève littéraire québécoise est faite de jeunes au talent indiscutable, talent sans doute épuré – ou dénudé, selon le point de vue – des idéaux sociaux qui ont animé leurs prédécesseurs, mais talent certainement capable de dire le monde autrement.

Dans le cadre de la campagne organisée

conjointement avec l’Association nationale

des éditeurs de livres (ANEL ) Voir publie, jusqu’au 13 avril,

des textes sur des auteurs de la Relève


La Relève de l’édition<<b>/h4>

François Couture fait partie des jeunes qui croient que la relève a aussi sa place dans le secteur de l’édition. L’an dernier, il fondait les éditions de l’Effet pourpre, avec une idée très précise de l’orientation à donner à la maison. «Dans les années 60 et 70, il y a eu, au Québec, des maisons qui souhaitaient faire plus que publier des livres; des maisons qui voulaient contribuer à l’affirmation de la société québécoise, qui voulaient changer le monde. Par la suite, la plupart des éditeurs se sont tournés vers une littérature que je considère être plus du côté du divertissement que de la parole. Moi, je veux revenir à la parole», raconte le jeune éditeur de 29 ans, qui publie, entre autres, Maxime-Olivier Moutier.

L’éditeur André Vanasse ne le voit pas du même oeil. Il écrivait tout récemment, dans un éditorial de la revue Lettres québécoises: «Les maisons d’édition littéraire n’ont pas cessé de pousser comme des champignons. À vue d’oeil, j’en ai dénombré plus d’une quinzaine depuis 1990. […] Qu’apportent de neuf ces maisons d’édition mis à part le bel enthousiasme de leurs propriétaires? Je suis bien forcé de répondre: rien.»

François Couture riposte. «C’est inadmissible, comme propos. D’abord, André Vanasse n’a pas l’humilité de réaliser que je ne publie sans doute pas les mêmes livres que lui. Ensuite, il oublie que c’est grâce à des gens comme moi que le métier d’éditeur va durer au Québec, parce que des maisons établies qui ont vraiment intégré les jeunes dans leur structure, il n’y en a pas.»

Une constellation de nouvelles maisons, dont l’Effet pourpre, Point de fuite, Planète Rebelle et Trait d’union, sont en effet nées depuis peu. S’il est vrai que la qualité générale des publications peut en être affectée, que l’assiette des subventions s’en trouve divisée, la pertinence de la démarche dépend du travail des nouveaux venus, dont l’action témoigne pour le moins de la vitalité du milieu.

Il faudrait plus que quelques lignes pour tenir le débat, mais cette prise de bec est représentative de la dynamique actuelle. Chose certaine, qui parle d’édition parle aussi de vente. Les uns comme les autres, animés ou non d’idéaux littéraires, doivent composer avec les lois du commerce. L’édition est certes largement subventionnée, encore faut-il écouler ses volumes, et si le nombre d’éditeurs augmente, le lectorat, lui, demeure le même.


Robert Lalonde

La voix de son maître

Tout en menant de front une carrière d’écrivain et une autre de comédien, Robert Lalonde est de ces êtres généreux et curieux qui se tiennent à l’affût de tout ce qui crée. Ainsi, au fil des ans, l’auteur du Dernier Été des Indiens (Éd. du Seuil, 1982), du Petit Aigle à tête blanche (Éd. du Seuil, 1994, Prix du Gouverneur général et Prix France-Québec) et du Monde sur le flanc de la truite (Éd. du Boréal, 1997), entre une quinzaine d’autres titres qui composent une oeuvre étonnamment conséquente, prodigue depuis de nombreuses années conseils et réflexions à d’innombrables jeunes écrivains.

Ce travail de conseiller, il le fait régulièrement à titre personnel lorsqu’on lui adresse des manuscrits; il a aussi participé, à l’occasion, au programme de parrainage de l’Union des écrivaines et écrivains québécois; enfin, les ateliers d’écriture, donnés au Camp littéraire Félix, dans le Bas-du-Fleuve, ou dans les collèges et universités, comme en ce moment au

département d’études littéraires de l’Université du Québec à Rimouski, jalonnent son parcours depuis plusieurs années. Il faudrait ajouter que l’écrivain, liseur invétéré, lit tout, ou à peu près, de ce qui se publie chez nous.

Quand on lui parle de la relève littéraire, Robert Lalonde s’exclame d’emblée: «J’aimerais pas être un jeune écrivain aujourd’hui! Débuter me semble plus difficile qu’avant. Mais c’est le cas dans tous les arts. Quand tu fais de la chanson, il faut quasiment que tu fasses un disque avant de monter sur scène. Quand t’écris un livre, il faut déjà qu’il soit dans les créneaux où on veut le vendre avant qu’il soit publié. Le livre reste deux, trois semaines en librairie, puis retourne parmi les invendus si ça n’a pas décollé. Vu le nombre effarant de bouquins qui envahissent les librairies en même temps». De plus, selon Lalonde, sans la publicité, il semblerait que le livre ne peut pas beaucoup décoller. «Cela, même s’il est bon. Or, la publicité, n’en a pas qui veut, il n’y en a pas beaucoup. Alors, les gens se bousculent pour les petites places dans les journaux ou à la télé, où l’on invite juste les vieux routiers, comme moi, qui portent plusieurs chapeaux. Dans ces entrevues, que je refuse le plus souvent, il n’est pas question de littérature mais de la carrière; on veut juste être au courant plutôt que lire, plutôt que d’entrer dans le contenu.»

L’écrivain ne croit pas que l’intérêt du public soit en cause. «Même si je suis d’accord avec Gilles Pellerin qui dit qu’on est forcément condamné à la modestie, ici, quand on écrit, ce n’est peut-être pas si négatif que ça. Il y a du monde au bout même s’il n’y en a pas des millions. Je ne crois pas que la curiosité des lecteurs soit moins éveillée, au contraire. Mais les moyens de communication entre les auteurs et les lecteurs sont de plus en plus complexes. On est dans le règne de la production, dans les livres comme dans le reste. C’est comme ça pour les écrivains chevronnés, alors quand tu débutes et que tu veux te trouver une place, l’éventail n’est pas large. En plus, on voudrait que les écrivains soient fascinants, médiatiques. Or, quand un écrivain n’a pas tout dit dans son livre, ce n’est pas vraiment un écrivain, quelque part… Si en plus il faut être des personnalités étonnantes, ça ne m’apparaît pas très littéraire.»

Lire et se battre

Robert Lalonde croit qu’on n’enseigne pas l’écriture, le mieux qu’on puisse faire est de transmettre le désir. «J’essaie, dit-il, d’éclaircir le malentendu des gens qui veulent davantage, selon moi, être écrivains qu’écrire. De la même façon qu’on entre à l’école de théâtre pour être acteur, être connu et aimé. Mais on n’a pas beaucoup d’affection pour l’artisanat dans ce métier. Les étudiants en création littéraire ne font pas beaucoup de paragraphes dans une journée!… Et encore: si ce n’est pas parfait, ils jettent. J’essaie de leur inculquer la passion du travail et la "non-importance" de manquer son coup; s’il y a vingt pages sur cent qui sont bonnes, ce n’est pas grave, les autres on ne les a pas faites pour rien. Il faut se débarrasser du complexe de performance. Si ça ne sort pas d’un morceau et tout attaché ensemble comme il faut, ils trouvent qu’ils sont bloqués, qu’ils n’ont pas de talent, et ne persévèrent pas. Puis ils sont pressés de publier. Quand les livres ne sont pas bons, c’est souvent dû à la hâte.»
Selon le «professeur» Robert Lalonde, certains jeunes écrivains ne lisent pas assez…«Ils ont peur d’être bloqués dans leur écriture en lisant. Cette façon de vouloir faire sans lire transparaît dans les livres. Je les incite donc à lire et à défendre leur travail, quand ils en sont contents, de façon guerrière.»

Raymond Bertin