Le lecteur junkie de polars qui bouillonnent, toujours à la recherche d’une charge de plus en plus intense, vient enfin de trouver sa dose. Le fournisseur est italien et se nomme Andrea G. Pinketts. Marchandise de très grande qualité, ce second roman traduit en français s’avère être le quatrième tome … d’une trilogie! Quoi qu’il en soit, soyez-en informé: voici, incontestablement, mon polar de l’année!
Nous sillonnons les rues de Milan, en cette fin de siècle et de millénaire. Plutôt pompette, aux petites heures du matin, un pseudo-journaliste dandy âgé de 33 ans (comme le Christ à l’heure de sa mort) vient à la rescousse d’un sans-abri attaqué par une bande de jeunes voyous. Au terme d’un héroïque combat, ce nouveau sauveur est frappé par rien de moins qu’une apparition de la Madone!
Il a pour nom Lazare Santandrea; il est le héros sympathique et le narrateur acide de ce récit rocambolesque et peu crédible, auquel on adhère pourtant aveuglément. Parce qu’il faut le faire: réussir à nous accrocher avec une histoire d’apparitions de Sainte-Vierge et de miracles de pacotille! Pour y parvenir, Andrea G. Pinketts, chef de file du renouveau du roman noir italien, kidnappe littéralement le lecteur, le séquestrant dans son univers.
Ce roman est touffu, luxuriant; mais également truculent et décadent. Il est drôle et spirituel; mais aussi ridicule et vulgaire. Les personnages oscillent entre la caricature et le cas d’espèce documentaire. C’est somptueusement sirupeux tel un vieux photo-roman mélodramatique, ou tendrement subtil, une simple émotion qui passe. C’est superficiel comme le showbiz ou lucide comme un désir.
Chacun des quatorze chapitres débute avec le récit d’un cas de vision de la Madone: de Bernadette Soubirous (qui la vit dix-huit fois à Lourdes en 1858) à Estelle Faguette (la seule qui ait écrit sa biographie). Comme pour étoffer la thèse des apparitions virginales, lui donner une crédibilité, l’ancrer dans une tradition. Mais Lazare Santandrea vendra son âme au Diable dans le cas qui nous occupe, un imprésario crapuleux qui produit des spectacles dans des discothèques où notre nouveau messie fait des miracles arrangés. Alors, la Madone assassine d’abord son amante, puis tout autour de lui, ça déraille.
Tel un mantra, tout au long de ce récit farci de multiples personnages pittoresques, une phrase revient; le souvenir d’une vieille conquête qui répétait toujours: «-On appelle ça passion parce que ça passe-», disait Jacqueline. Et chaque fois, on croit bien que la folie va se calmer. Détrompez-vous, c’est plutôt le signe que ça repart en grand.
Ingénieux, inventif, le narrateur ira même jusqu’à mettre en scène l’auteur Andrea G. Pinketts, «un beau garçon cultivé, pas tout à fait à ma hauteur cependant, (qui) animait des "-séminaires pour roman noir et bars-", une série de rencontres pendant lesquelles l’éternel jeune rassembleur tentait de restituer au genre policier une dignité littéraire et sociale.»
Pas de doute, avec son cynisme, le romancier italien parvient à redonner au genre un souffle nouveau. Un incontournable. Éd. Rivages Thriller, 1999, 490 p.