Dai Sijie : Balzac et la Petite Tailleuse chinoise
Le cinéaste Dai Sijie (Chine ma douleur) est aussi écrivain, et publiait récemment Balzac et la Petite Tailleuse chinoise. Quand la culture vous sauve la vie…
En 1971, comme des millions d’autres citadins chinois, deux jeunes «intellectuels», dont le malheur est d’avoir des «ennemis du peuple» pour parents, prennent le chemin d’une montagne reculée pour y être «rééduqués». Là, ils sont astreints au dur labeur des champs ou des mines, sous la baguette d’anciens producteurs d’opium. Mais parfois, leur don de conteur leur vaut d’échapper aux corvées pour aller voir un film dans une ville lointaine, qu’ils narreront ensuite aux villageois subjugués.
Leur vie sera transformée par la découverte, chez un ami méfiant, d’une valise bourrée de romans occidentaux. Un trésor aussi inestimable que dangereux, dans la famine intellectuelle de la Révolution (très peu) culturelle de Mao, où, en fait de littérature étrangère, seules trônent dans les librairies les «Ouvres complètes du dirigeant communiste albanais Enver Hoxha»…
Au contact des Flaubert, Romain Rolland, «Ba-er-za-ke» (l’auteur du Père Goriot) et compagnie, les jeunes nourris de «bla-bla révolutionnaire» s’éveillent au monde extérieur, aux mystères du désir, de l’amour et de l’individualisme. L’ami du narrateur, Luo, en profite pour séduire, puis instruire, la plus jolie fleur de la montagne, la Petite Tailleuse, trop inculte à son goût. C’est essentiellement le récit de cette «rééducation balzacienne», entrecoupé de quelques péripéties, que le livre mène jusqu’à son imparable et ironique conclusion.
De cette tragédie, le premier roman autobiographique du cinéaste Dai Sijie (le beau film Chine ma douleur, c’est lui), installé dans la patrie de Voltaire depuis quinze ans, fait une épopée souvent drôle, parfois touchante, qui cumule les situations marquées au coin de l’absurdité. Avec sa simplicité de conte, son écriture sans fioritures, marquée par l’expérience cinématographique de l’auteur (qui s’exprime souvent en images), Balzac et la Petite Tailleuse chinoise se lit parfois davantage comme une succession de petites histoires, d’épisodes à saveur dramatico-humoristique, qe comme un véritable roman. Question de densité et d’épaisseur des personnages.
Mais difficile de bouder son plaisir, tant l’oeuvre charme par sa légèreté souriante et cette belle histoire qui fait un pied de nez à la censure, rend hommage à la grande littérature classique, mais donne aussi un coup de chapeau à l’art de la narration.
Une réhabilitation des plaisirs simples mais profonds du récit, celui qui tient sous sa coupe un tailleur neuf nuits durant pour suivre les aventures du comte de Monte-Cristo, ou qui fait pleurer des sorcières chinoises à l’écoute du scénario d’un mauvais mélodrame nord-coréen. Pas surprenant qu’on ait déroulé le tapis rouge à ce joli petit roman – acclamé par Pivot -, dans un pays où la littérature semble parfois en avoir bien besoin… Éd. Gallimard, 2000, 190 p.