Les Doigts blancs : Le rouge et le noir
Une chauffeur de taxi se confie à ses clients; un inspecteur tente de résoudre des meurtres, dans lesquels les rituels jouent un rôle déterminant. C’est le coeur de l’intrigue des Doigts blancs, un roman policier de Sarah Cohen-Scali.
Cardona est chauffeur de taxi, travaille de nuit dans les rues de Paris. Signe particulier: il adore causer avec ses clients, et aime les faire parler. Tellement qu’il leur arrive de se confier à lui, et de lui montrer des photos d’enfants, d’amis, etc. Quand ils les oublient dans sa voiture, Cardona garde les photos, et se fait son cinéma. «Tu fouilles dans ta serviette et tu trembles. Fais gaffe, tu risques de faire tomber quelque chose. Remarque, on sait jamais, ça pourrait m’intéresser… Qu’est-ce que t’as sorti, là? Je vois pas ce que c’est. En tout cas, ça a l’air de t’émouvoir.»
Cette voix intérieure hante les pages de ce polar où l’anthropologie et la psychiatrie se croiseront pour permettre à l’inspecteur Burini de percer le mystère, deux disciplines qui ne font pas partie a priori du passé littéraire de l’auteure française Sarah Cohen-Scali. Celle-ci a une formation de philosophie; a écrit pour la jeunesse; et a signé une vingtaine de romans policiers à l’intention des adolescents, dont certains lui ont valu quelques récompenses: Ombres noires pour Noël rouge, par exemple, en 1996 (le prix Henri-Matisse).
Aux deux couleurs du crime que sont le rouge et le noir (signalons qu’elle a écrit Contes rouges et Rêves noirs), Cohen-Scali ajoute ici le blanc, dans ce titre énigmatique: Les Doigts blancs. Ce n’est ni le blanc de la pureté, encore moins celui de la paix; mais plutôt le blanc de la maladie, de la pâleur, le blanc spectral de quelqu’un qui a déjà commencé à mourir.
Parallèlement aux virées nocturnes de Cardona, nous suivons la piste de meurtres ritualisés, à commencer par celui d’une dame âgée, Geneviève. L’inspecteur Burini sera aidé dans sa tâche par une étrange psychiatre, Andréa Descubes, dont la fille, Laura, a peut-être aperçu le meurtrier qui sévissait chez ladite Geneviève. Et, pour couronner le tout, Descubes hypnotisera l’inspecteur qui révélera des choses saisissantes sur son enfance, et qui auront une répercussion sur le déroulment de l’intrigue.
Bref, personne n’est tout à fait bon ni totalement méchant dans ce roman qui nous transporte dans un monastère niché dans les montagnes, et dont l’atmosphère est tout sauf apaisante. «Les cloches se sont tues. Le silence règne sur ce coin de campagne vosgienne. De temps à autre, le vent mugit, l’écho d’un chant monte vers le ciel. Derrière la grille, un modeste jardin, entièrement blanchi par la gelée matinale, s’étend jusqu’à l’entrée du monastère.»
L’histoire envoûtante inventée par Cohen-Scali est servie par une imagination fantasmatique, de beaux personnages (cette tenancière d’hôtel qui dévore les péplums et se déguise en Cléopâtre, ou autre, pour mieux jouir du spectacle!), une langue et des dialogues particulièrement vivants. Dommage que l’auteure emploie un peu trop l’ellipse, donnant du fil à retordre à son lecteur pour être capable de suivre le déroulement de l’action. C’est peu pour décourager la lecture de ce roman noir qui plaint en sourdine la solitude et l’abandon des enfants même devenus grands. À découvrir.
Les Doigts blancs
de Sarah Cohen-Scali
Éd. Seuil policiers, 2000, 274 p.