Michel Michaud : L’écriture en miroir
Paru il y a douze ans, Coyote, roman de Michel Michaud, avait conquis un large public. Aujourd’hui, l’écrivain, professeur, et ancien maraîcher nous parle de Coeur de cannibale. On y retrouve le même narrateur que dans ses premiers romans, en pleine crise de la quarantaine…
Quand nous l’avions rencontré, à la sortie de Coyote, ce roman d’un amour fou au temps des sixties, Michel Michaud vivait déjà depuis longtemps en France. Marié à une Française, père de trois enfants, ce qui lui permettait d’entrer dans l’avantageuse catégorie des «familles nombreuses», il travaillait «dans les fruits et légumes» pour gagner sa vie; et pour la vivre, il écrivait.
C’était en 1988. Depuis, Michaud est redevenu montréalais, s’est séparé, a continué d’écrire. Un roman historique (Le Roman d’Étienne Brûlé, Éd. Libre Expression, 1998), sur lequel il a «travaillé comme un malade» et qui est passé quasiment inaperçu («c’est dommage, j’aurais aimé faire connaître le personnage»). Et ce nouveau roman, où il renoue avec son narrateur-écrivain qui s’appelle maintenant Michoko, qui est devenu père de famille nombreuse, Français d’adoption, expert en fruits et légumes, et qui traverse une
véritable crise de la quarantaine.
Histoire de gars
L’oeuvre de Michel Michaud n’est pas abondante, mais elle se tient. Hormis son incursion dans le roman historique, ses trois autres livres mettent en scène un narrateur écrivain, poète, auteur de textes de chansons et/ou romancier, qu’il s’appelle Chimo (comme dans L’Amour atomique), Chomi (comme dans Coyote) ou Michoko (comme dans Coeur de cannibale). Comme le font de plus en plus d’auteurs, Michaud n’hésite pas à puiser directement dans son existence pour alimenter ses histoires. À l’instar d’un Benacquista, par exemple, qui a pratiqué tous les boulots que ses héros pratiquent, l’auteur a été l’expert ès fruits et légumes qu’il met en scène dans L’Amour atomique. «Bien sûr, beaucoup de choses dans ce livre sont basées sur ce que j’ai vécu, dit-il. Mais ce sont des réalités boostées, flyées, je me sers d’éléments et je brode, et je mens effrontément.»
Ce roman où un couple, pourtant heureux avec ses trois enfants, court au naufrage, Michaud voulait en faire «un livre masculin. Et je pense que cen est un, dit-il. Je voulais donner le point de vue de l’homme, même s’il ne lui est pas toujours très positif, ni très favorable. Le point de vue d’un gars qui parle de la famille, de l’amour, de ses amitiés entre
gars – qui sont comme des histoires d’amour: quand il y a des ruptures, c’est la même douleur.»
Mettant en évidence les contrastes et les contradictions de l’amour, il voulait démontrer «que le plus beau côtoie le plus laid, que l’extatique côtoie le grave, comme dans la vie. Dans une seule journée, ou avec une seule personne, on peut connaître des extases et des déceptions monstrueuses. Je voulais qu’il y ait ce foisonnement, avec du son, de la
chair, de la musique. Ce sont nos guerres personnelles. Nos blessures. Mais nos blessures sont aussi nos trophées.»
La vie est un roman
Né en 1948, comme le Chimo de L’Amour atomique, à Sainte-Ursule (en Mauricie), membre, comme le Chomi de Coyote, d’une grosse famille de neuf enfants, Michaud a découvert la poésie avec Rimbaud, Baudelaire, Verlaine, mais également avec Denis Vanier («un auteur génial, j’ai lu presque toute sa poésie, il n’y a rien qui s’approche de ça ici)». Il est allé à l’école normale, a voyagé, a enseigné pendant quelques années, ce qui ne lui plaisait pas («ce n’étaient pas les élèves qui me dérangeaient, c’étaient les profs»). Puis, comme le Michoko de Coeur de cannibale, il a rencontré une Française, s’est marié, et est allé vivre en France. «Je voulais vivre dans le Sud, raconte-t-il, là où il fait beau et chaud. Mais il fallait que je gagne ma vie. De l’emploi, on en trouvait soit dans le tourisme, soit dans l’agriculture. Le tourisme marche bien trois ou quatre mois par année. L’agriculture, c’était tout le temps. Alors j’ai choisi l’agriculture.»
C’est ainsi qu’il est devenu un spécialiste des fruits et légumes (si vous voulez tout savoir sur le métier, lisez le roman, tout y est). Un boulot comme un autre, qui lui a permis de voyager, de parcourir une partie de l’Europe de fond en cmble, de rencontrer plein de gens. «Et de comprendre comment est distribuée la nourriture, à une époque où on ne chasse plus, où on ne pêche plus, où il y a plein de jeunes qui mangent du steak haché et des cuisses de poulet, mais qui n’ont jamais vu une vraie vache ou un poulet ailleurs qu’à la télé.» Un travail qui lui a aussi permis ultimement d’alimenter son roman de mille et un détails aussi authentiques que drôles, voire burlesques.
S’il est revenu au bercail, il y a huit ans, c’est entre autres pour travailler à la scénarisation de Coyote, mis en scène par Richard Chupka. En passant à l’écran, l’histoire «d’un gars qui s’appelle Chomi et qui se prend pour un poète», dans les années soixante, est devenue celle d’un gars qui s’appelle Chomi et qui se prend pour un cinéaste, dans les années quatre-vingt, avec les résultats que l’on sait. Mais pour l’auteur, qui s’est «désolidarisé» du produit final, bien qu’il y ait participé – «au cinéma, disons qu’il ne faut pas être trop scrupuleux…» -, c’était une façon d’apprendre le métier, qu’il a continué de pratiquer, travaillant à la scénarisation de Louis 19, et de Caboose, et à «plein d’autres projets qui n’ont pas abouti, mais c’est comme ça le cinéma…»
En attendant, sinon la gloire, du moins un peu de fortune («le cinéma, quand ça marche, c’est quand même plus payant que la littérature»), Michaud travaille comme remplaçant dans des écoles (sourires, soupirs… «la vie est difficile»), et continue d’écrire. Comme Michoko, il a dans ses tiroirs des textes de chansons qui attendent de se poser sur des notes (avis aux intéressés), et des projets de romans. «J’écrirai pas vingt livres, peut-être quatre ou cinq; mais je sais d’avance ce que je vais faire. Je suis tenace», assure-t-il. On n’en doute pas un seul instant.
Coeur de cannibale
de Michel Michaud
Marié à une Française qui l’adore, père d’un couple de jumeaux et beau-père d’un grand ado, Michoko est, comme on dit, soutien de famille. À part le fruit des petits larcin que sa femme, cleptomane avertie, ramène à la maison, il est celui qui gagne la vie des siens en travaillant comme expert en fruits et légumes, ratissant le Sud de la France pour expliquer aux producteurs comment mieux vendre leur salade. Une situation qui ne peut faire qu’un temps, évidemment, quand on est écrivain et qu’on a le coeur cascadeur. Même si le quotidien, au sein du clan Michoko – qui compte aussi un chat et deux tortues -, n’a rien de banal, l’homme a le syndrome du membre fantôme, il souffre de sa jeunesse amputée. Le jour où son grand ami, Oui Bingo, lui présente une jeune femme qui l’invite au bonheur extatique, tout va se précipiter, ce sera le grand tumulte, le grand tremblement de
coeur merveilleux et destructeur. Mu par un sentiment d’urgence, Michoko se résout à sortir sa vieille Underwood de la cage à oiseaux où elle était remisée (!), et se met à écrire comme on court contre la montre. Il va la retrouver, sa jeunesse. Mais non sans casser des coeurs.
Cet air archiconnu de la crise de la quarantaine, Michel Michaud réussit à le réorchestrer de telle sorte qu’il n’a plus rien de banal. En y mettant cet humour bien à lui qui tient de l’autodérision, ce foisonnement d’images, cette langue qui mêle allègrement argot français et québécois, ces scènes parfois très drôles qui semblent croquées sur le vif et qui
donnent toute sa vitalité au roman. Éd. du Boréal, 2000, 384 p.