Donald Westlake : Smoke
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Donald Westlake : Smoke

Donald Westlake est un cas particulier dans le monde du polar. Sa façon d’appréhender la société américaine est unique. Cynisme, absurde et fumisterie sont les parfums enivrants qui émanent de Smoke, le plus récent de ses romans drôlement noirs, paru en français.

Donald Westlake

est un cas particulier dans le monde du polar. Sa façon d’appréhender la société américaine est unique. Cynisme, absurde et fumisterie sont les parfums enivrants qui émanent de Smoke, le plus récent de ses romans drôlement noirs, paru en français.
Complètement invraisemblable, la trame du récit poursuit un petit cambrioleur qui se fait prendre la main dans le sac, à New York, dans un laboratoire pharmaceutique dirigé par deux médecins opportunistes et financé par l’industrie du tabac. Voyant dans ce voleur tombé des cieux un heureux présage pour leurs travaux de recherche, le duo de scientifiques échange la liberté de Freddie contre une expérience médicale volontaire présumément sans danger. Après l’injection d’une première formule, l’absorption d’un faux antidote rendra le sympathique bandit transparent. Rien de moins.
Cette mésaventure de l’homme invisible proposée par Westlake n’aurait pu être qu’une variation sur un thème connu, usé. Ç’aurait été sans compter sur la plume vitriolique de l’auteur du magistral Couperet, de Moi, mentir?, de Faites-moi confiance, et autres petites perles d’une oeuvre singulière qui égratigne, inlassablement, pour notre plus grand plaisir, le vernis de la rectitude politique. Le terrain de jeu de l’écrivain, dans Smoke, est l’univers brumeux de la cigarette. Et le grand magnat de la clope, Merrill Fullerton, n’y va pas par quatre chemins: «-Nous avons passé les quarante dernières années à essayer de fabriquer des cigarettes inoffensives pour la race humaine, et nous avons échoué. Nous pouvons passer les quarante années suivantes à essayer de fabriquer une race humaine insensible à la nocivité des cigarettes!-» Et vlan.
Les archétypes du flic obèse corrompu, de l’avocat teigneux qui rampe devant le président délirant, du couple de médecins, homosexuels yuppies, se lancent à la chasse de l’invisible Freddie, qui fuit avec sa dulcinée, toute en chair et en os. Elle se lasse vite de vivre avec un couran d’air, mais elle ne peut trahir son homme. Tout ça nous donne droit à une enfilade rythmée de scènes loufoques farcies de sarcasmes bien épicés.
Quand vous éclatez de rire, seul dans votre chambre, et que vos colocs, qui zappent devant la télé, s’informent de ce que vous faites, parce que, juste à vous entendre, ils devinent que vous vous amusez davantage qu’eux, et que vous leur répondez: «Je lis!», c’est probablement parce que vous lisez Smoke. Cet humour, ravageur et irrévérencieux, n’est pas sans rappeler celui de François Barcelo dans la Série noire. Lecture jubilatoire. Éd. Rivages Thriller, 2000, 403 p.