Le Silence des eaux : De guerre lasse
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Le Silence des eaux : De guerre lasse

On connaît la grande littérature latino-américaine du XXe siècle, mais on connaît moins celle qui s’écrit aujourd’hui. Le romancier guatémaltèque Rodrigo Rey Rosa figure parmi les nouvelles voix, qui disent d’autres drames, vécus à d’autres  époques.

On connaît la grande littérature latino-américaine du XXe siècle, mais on connaît moins celle qui s’écrit aujourd’hui. Le romancier guatémaltèque Rodrigo Rey Rosa figure parmi les nouvelles voix, qui disent d’autres drames, puisque vécus à d’autres époques (bien que la guerre reste la guerre, non?).
Rey Rosa est né en 1958, à Ciudad Guatemala, mais a vécu aux États-Unis et au Maroc, à Tanger plus précisément, où il connut très bien Paul Bowles (le célèbre auteur du Thé au Sahara, décédé il y a quelques années), qui fut son premier traducteur, tout un honneur! Il vient de regagner son pays, ainsi qu’il le confiait récemment à un journaliste français.
Dans Le Silence des eaux, l’écrivain sud-américain raconte le destin de quatre personnes: un écrivain anglais, Lucien Leigh, qui retourne dans un village indien guatémaltèque pour tirer une affaire de trahison au clair; Ernesto, amoureux d’Emilia, l’étudiante, qui n’accepte pas qu’il ait un passé militaire; et Pedro, dont le père a trempé dans une affaire de corruption dans le milieu de l’aide humanitaire. Ces personnages se croisent tous mais ne se connaissent pas nécessairement, bien qu’ils soient liés par quelques épisodes, et par le lieu où se déroule l’histoire.
Dans Le Silence des eaux, le pays de Rey Rosa n’est pas un paradis, même si l’on baigne dans un décor envoûtant. «Amanda disait qu’elle était contente d’avoir tourné le dos à la vie guatémaltèque. Elle était née là-bas par hasard et avait choisi de vivre à Londres. C’était comme si elle éprouvait un certain mépris pour ceux qui voulaient vivre au Guatemala. On aurait dit qu’elle pensait que pour faire une chose pareille il fallait être poussé par quelque ignoble motif, la paresse ou la cupidité, on simplement le manque de sensibilité.»
Les deux personnages masculins symbolisent très bien les déchirements que l’on peut ressentir face à la situation politique du pays. Tous deux sont pris dans une logique de guerre, encouragée par la valorisation de laforce et du pouvoir militaire. Leur amitié sera compromise par l’histoire de leurs familles et les événements s’étant déroulés avant même leur vie adulte.
Pendant que le vieil écrivain anglais tente de trouver son aiguille dans une botte de foin, semant des écouteurs miniatures partout où il le juge utile, la jeune Emilia tisse la toile dans laquelle l’attend son destin. Et la jungle guatémaltèque n’est pas tendre pour les âmes sensibles.
Le roman de Rey Rosa est elliptique, et fait les portraits par petites touches, trace les intrigues par à-coups, sans linéarité. Cela rend parfois l’action un peu détachée. Néanmoins, le parti pris esthétique du romancier parvient à rendre percutantes les histoires qu’il nous raconte, où la froideur des descriptions contraste avec la violence dissimulée dans chaque maison, derrière chaque arbre.
L’ambiance créée par ce lourd décor chargé de feuillages et d’humidité, par les cours d’eau sinueux et obscurs, participe à ce climat de torpeur et de secret qui règne dans le roman. «À chaque changement de direction de l’embarcation se profilaient, à droite et à gauche, de sombres formes changeantes d’animaux tapis entre la clarté du firmament et celle du fleuve. À ce moment-là, à droite, alors qu’ils descendaient le méandre du fleuve, un serpent engloutissait, de façon à peine croyable, un crapaud et se déroulait sous les étoiles sur l’autre rive.»
Dans le livre de Rey Rosa, le désespoir s’est changé en résignation, en cynisme. À l’image de beaucoup de jeunes écrivains qui ne peuvent choisir ni les armes de la révolution ni celles du pouvoir. L’écriture elle-même se fait pessimiste et, malgré tout, éclairante.

Le Silence des eaux
de Rodrigo Rey Rosa
traduit par André Gabastou
Éd. Gallimard, 2000, 141 p.