Victor Headley : Yush
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Victor Headley : Yush

Si les mafiosi italiens ou les yakuzas japonais ont été observés de près, si les bandits de grand chemin russes et les terroristes intégristes ont la cote du moment, le criminophage sait bien que c’est encore dans les petits pots qu’on retrouve les meilleurs onguents. Et le roman de Victor Headley ouvre une brèche dans l’univers méconnu de la pègre jamaïcaine en Grande-Bretagne.

Le roman noir aura, mieux que bien des rapports de commission d’enquête, exploré avec brio le riche terroir du crime au siècle dernier. Autant à l’échelle microscopique de la délinquance de quartier qu’au niveau panoramique de la mondialisation de la criminalité! Car le crime a résolument quelque chose d’universel. Mais il recèle toujours des particularités culturelles, ethnologiques, qui rendent son étude fascinante. La criminalité distincte!
Si les mafiosi italiens ou les yakuzas japonais ont été observés de près, si les bandits de grand chemin russes et les terroristes intégristes ont la cote du moment, le criminophage sait bien que c’est encore dans les petits pots qu’on retrouve les meilleurs onguents. Et le roman de Victor Headley ouvre une brèche dans l’univers méconnu de la pègre jamaïcaine en Grande-Bretagne.
Sur fond de musique raggamuffin, derrière un écran de fumée de sinsemilla, on partage le quotidien d’un dealer de crack ambitieux, depuis son retour forcé dans sa Jamaïque natale, sur les terres ancestrales, jusqu’à sa reconquête des rues de Brixton, à Londres. Notre héros, dont le nom se résume à l’initiale D., rêve d’une famille mais sème des enfants à gauche et à droite, en Jamaïque et en Angleterre. Il prône des valeurs rastas comme le respect, mais cède à la vengeance quand ses intérêts sont en jeu. Pourtant, malgré ses contradictions, on s’attache à lui, à ses enfants, à ses femmes, à ses aïeuls, à ses amis.
Headley, dont il s’agit du second bouquin traduit dans la collection Soul Fiction, consacrée à la littérature -black-, n’est pas seulement romancier, mais également musicien. Et Jah sait si la musique est primordiale pour comprendre et pénétrer la culture jamaïcaine. La trame de son récit impressionniste se déroule souvent en périphérie des fêtes de rue et des clubs de nuit, lieux de prédilection de l’expression musicale, des tensions raciales et des luttes de pouvoir entre frères ennemis.
Mais ne vous attendez pas à une version du Parrain vec des dreads! Bien sûr, il y a des bons mauvais et des mauvais bons. À preuve, pour faire contrepoids à D., arrive de Jamaïque un flic inimaginablement corrompu, importé par les forces de l’ordre de Sa Majesté pour qu’il vienne infiltrer ses compatriotes qui sévissent allègrement dans le royaume. Dans ce duel en Noir et Blanc, entre noirs et blancs, l’auteur dépeint sans manichéisme, dans les nuances, ces zones grises qui hantent, au ras de la rue, la vie de tous les jours.
On ressort de ce livre comme si on venait de nous étamper notre passeport de citoyen du monde. On se sait moins ignorant parce qu’on a emprunté la sensibilité du regard qu’un homme pose sur son petit monde. Et on est convaincu que le grand monde est fait de la somme de tous ces petits mondes que le roman noir explore avec brio… Éd. de l’Olivier/ coll. Soul Fiction, 1999, 239 p.