Auteurs anglo-québécois au Salon du livre : Délier la langue
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Auteurs anglo-québécois au Salon du livre : Délier la langue

Confortables, les écrivains anglophones du Québec? Pas si sûr. On brosse le portrait de la situation avec ANN CHARNEY, auteure du Jardin de Rousseau.

À chaque Salon du livre, on en voit deux ou trois, parfois plus. Comme tous les autres écrivains, ils accueillent leurs lecteurs, dédicacent leurs livres ou bavardent avec l’auteur installé au kiosque voisin. Ils ressemblent à tous les autres poètes ou romanciers, mais ils font partie d’une confrérie un peu à part: celle des écrivains anglo-québécois.

Tout le monde au Québec connaît Mordecai Richler. On le cite toutefois moins comme le brillant romancier qu’il est que comme un polémiste dérangeant contre lequel il ne faut pas ménager ses munitions. Mais Richler n’est pas l’archétype de l’écrivain montréalais anglophone. David Homel, Trevor Ferguson, Ann Charney, Linda Leith et plusieurs autres entretiennent des liens avec le milieu littéraire francophone. Quelques-uns entreprennent même des démarches visant à rapprocher les «deux solitudes», pour reprendre l’expression lancée par Hugh MacLennan.

Il y a quelques années, la romancière Ann Charney figurait parmi les anglophones qui ont invité des auteurs francophones à mettre sur pied un événement conjoint. Il n’avait pas été facile de convaincre les gens des deux communautés d’écrivains, se rappelle-t-elle: «Les anglophones disaient que les francophones ne voulaient jamais d’eux, tandis que les francophones demeuraient méfiants, ils se demandaient ce qu’on leur voulait.»

De cet effort de collaboration est né Write pour écrire, dont la première de trois éditions s’est tenue à l’automne 1996. La formule de cette rencontre littéraire était fort simple: des francophones y lisaient des textes d’auteurs anglophones traduits en français et inversement. La méfiance des débuts avait même cédé la place à l’audace: «Monique Proulx a insisté pour lire un extrait de Mordecai Richler, ce que nous n’aurions jamais osé», se souvient Mme Charney.

Bougie d’allumage?
Cette rencontre littéraire a-t-elle éveillé quelques consciences? Est-ce plutôt dans l’air du temps? Depuis quelques années, les écrivains anglophones du Québec occupent une place grandissante dans le milieu littéraire et les médias francophones.
Trevor Ferguson, dont plusieurs romans sont parus en français aux éditions de La Pleine Lune, vient de faire son entrée dans la collection Bibliothèque québécoise avec la publication en format poche de Train d’enfer. La directrice de Flammarion Québec, Louise Loiselle, qui a publié le dernier roman de Mme Charney, affirme que sa maison portera une attention toute particulière à ce qui s’écrit en anglais au Québec. Chez Planète Rebelle, on fait fi des conventions; cet hiver, la jeune maison d’édition a lancé, directement en anglais, l’excellent livre-disque Exploding Head Man, Jazz Poems du poète Ian Ferrier. Quant à l’écrivain et traducteur David Homel, publié chez Leméac, il tient désormais une chronique consacrée aux auteurs anglophones du Québec et du Canada dans le cahier littéraire de La Presse.
La littérature québécoise serait-elle en train de revoir son appellation contrôlée? Pas si vite. Certaines barrières demeurent en effet infranchissables. Paru en traduction française avant d’avoir été publié en version originale anglaise, Le Jardin de Rousseau d’Anne Charney a été commenté dans la rubrique «Romans d’Amérique» du Devoir. «Je me sens Québécoise, mais je ne mérite pas d’être incluse dans la littérature québécoise, souligne l’auteure. Un roman québécois, selon Le Devoir, est écrit en français par un résident du Québec.» Mme Charney n’est pas mal à l’aise vis à vis cette situation. «Ça m’amuse», avoue-t-elle, un sourire dans la voix.
Même si elle insiste pour dire qu’il y a une grande ouverture pour les écrivains qui sont traduits en français, l’écrivaine souligne quand même l’isolement des auteurs anglophones d’ici. Une situation déjà évoquée sous les plumes de Linda Leith et Trevor Ferguson. «On est un peu les orphelins de tout le monde, soligne Mme Charney. Le Canada anglais s’intéresse encore moins à nous que le Québec. Dans le reste du pays, quand ils pensent au Québec, ils ne pensent qu’aux francophones. Ils préfèrent oublier les écrivains québécois anglophones.» Situation difficile que Trevor Ferguson dépeignait il y a quelques années avec cette phrase lapidaire: «Les Anglais du Québec sont une plaie pour tous ceux qui ont affaire à eux.»
L’histoire est à suivre au prochain Salon du livre, auquel participeront Ian Ferrier et Trevor Ferguson qui connaît actuellement un grand succès avec La Ville de glace, publié chez Grasset sous le pseudonyme John Farrow. Ann Charney y présentera également son dernier roman, d’une finesse et d’une lenteur magnifiques, où une femme à l’aube de la quarantaine profite d’un séjour à Paris pour dissiper le brouillard entourant le décès de sa mère.