Auteurs belges au Salon du livre : La vie est belge
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Auteurs belges au Salon du livre : La vie est belge

«Un écrivain français sur cinq est Belge», disait le slogan d’une campagne publicitaire menée en France il y a quelques années. Un sur cinq? «J’opterais pour un sur quatre ou même un sur trois», dit l’écrivain DANIEL DE BRUYCKER.

Daniel De Bruycker

est né Belge. Comme Simenon, Michaux, Supervielle, Yourcenar, Levi-Strauss et nombre d’écrivains «français». Comme plusieurs poètes un peu jaloux des facilités de diffusion réservées aux romanciers, il a longtemps tenu le roman en horreur. Mais après avoir publié trois recueils de poèmes méditatifs, métaphysiques, voire abstraits, il est récemment passé à la prose en publiant un premier roman lumineux intitulé Silex: Le Tombeau du chasseur.
L’intrigue ±- si on peut utiliser ce mot – est tout à fait simple. Trois jeunes archéologues soviétiques périssent dans un écrasement d’avion, au retour d’une fouille dans les steppes du Tadjikistan. De leur entreprise ne subsiste que le journal personnel de Daniel Adreïevitch Izdolchtchikov, chronique pudique et inquiète où les problèmes pratiques ouvrent à des questions éthiques et philosophiques sur les origines du monde.
Silex est né d’un glissement involontaire, presque accidentel. «Ce roman est sorti d’un cycle de poèmes sur des petits objets archéologiques, qui ne semblaient pas présenter la lisibilité à laquelle je m’efforce d’habitude, explique l’auteur. Au contraire, ils étaient extrêmement resserrés, voire même minéraux. On m’a conseillé et je me suis décidé à leur faire une vitrine en prose. Cette vitrine-là a pris presque spontanément le tour d’un récit qui s’est amplifié et qui a fini par aboutir à un roman.»
Dans Silex, l’archéologie apparaît comme une métaphore du travail de l’écrivain et du lecteur. «Le creusage minutieux des archéologues peut s’apparenter à la chronique d’une lecture ou d’une écriture», convient l’auteur. Intercalés dans le récit, les poèmes à l’origine du livre sont comme les fragments de silex recueillis à même le sol; les réflexions en prose s’apparentent quant à elles au travail des archéologues qui tentent de reconstruire l’histoire des éclats de pierre et, par extension, celle de l’humanité.

L’identité
Journaliste pendant une dizaine d’années, ayant collaboré au Soir (quotidin bruxellois) et au Monde, De Bruycker ne se consacre à la littérature que depuis son installation à Paris, en 1987. Écrire et publier dans la ville-lumière fait-il de lui un écrivain français? «De mon point de vue, absolument pas; mais de celui du système éditorial français, il semble que ce soit le cas, souligne-t-il. J’y suis accueilli très volontiers comme quantité d’autres écrivains belges.»
De Bruycker bénéficie en fait d’appartenances multiples. Son intégration à la littérature française ne l’a pas empêché de remporter le prix Rossel l’automne dernier, distinction réservée à un auteur belge francophone. Il est également un immigré dans la langue française puisque sa langue maternelle est le néerlandais. «Je suis à la fois un immigré, un transfuge, un expatrié. Malgré tout, la communauté française de Belgique continue à me reconnaître comme un écrivain qui la représente. C’est aussi comme ça que je le sens.»
La littérature belge, selon De Bruycker, c’est d’abord une question d’état d’esprit. Marquée par une vision du monde désespérée doublée d’un sens de l’humour, sinon de la dérision, cette littérature lui semble explicitement porteuse d’une mentalité proprement germanique.
Les écrivains belges se distinguent également par leur intérêt très net pour les pratiques marginales. Attirés par le polar et le fantastique, ils s’adonnent volontiers à des genres réputés moins viables du point de vue marchand tels le théâtre et la poésie. L’isolement des écrivains belges, qui n’accèdent pas facilement au système éditorial français, et l’absence d’éditeurs belges assez puissants pour supporter des auteurs expliqueraient ces choix. «Les livres publiés en français en Belgique ont difficilement accès au territoire français», souligne De Bruycker.
Publier en France est donc un signe de réussite pour un auteur belge? «Oui, avoue-t-il du bout des lèvres, mais pas au sens idéologique.» Être récupéré par un éditeur français implique d’abord la chance d’atteindre un plus grand nombre de lecteurs, ce dont aucun écriain n’oserait se plaindre. En ce moment, il semble même que la littérature belge bénéficie d’une cote d’amour auprès des Français, qui lui reconnaissent «une part d’exotisme qu’ils ne trouvent pas dans leur littérature.»
C’est maintenant au tour des Québécois de découvrir la littérature belge francophone, puisque le Salon du livre a convié une petite délégation d’écrivains du plat pays. Outre Daniel De Bruycker, on pourra prendre contact avec les romanciers Jean-Louis Lippert, Gérard Adam et Anne-Marie La Fère, le bédéiste Willy Lambil (Pauvre Lampil, Les Tuniques bleues) et l’auteure jeunesse Caroline Grégoire. Otto Ganz, qui a publié une nouvelle dans le recueil collectif Tôt ou tard, sera quant à lui au kiosque de L’instant même. «On sent qu’il se cherche, mais je crois que c’est quelqu’un qui approche l’écriture à un niveau tellement fondamental qu’il sera un auteur important avant longtemps», dit de lui De Bruycker.