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Auteurs francophones hors Québec : Pièces d’identité

Les littératures du Canada français sont en pleine effervescence. Sans être légion, les publications se sont multipliées à force d’efforts et affichent aujourd’hui une maturité ainsi qu’une spécificité indéniables.

Les théoriciens littéraires s’entendent pour dire que la poésie et le théâtre sont les premières paroles des peuples en développement, l’écriture qui s’y fait étant plus urgente. Le poète, dramaturge, peintre et essayiste Herménégilde Chiasson acquiesce. Dans son oeuvre, la thématique identitaire, souvent reliée au territoire, est manifeste. Cependant, l’écrivain considère que cette préoccupation se doit d’être évacuée à un moment ou à un autre, qu’«une fois le territoire nommé, il faut savoir l’aménager, c’est-à-dire passer à un autre type d’écriture et à d’autres thématiques».

Lauréat du Prix du Gouverneur général en 1999, Chiasson a commencé à écrire à l’heure des premières revendications des Acadiens pour le bilinguisme, à la fin des années 60. En 30 ans, il a été témoin des diverses mutations du milieu et de son émancipation, notamment par le biais des maisons d’édition acadiennes où il s’est toujours fait un devoir de publier afin de stimuler le milieu.

Bien que la situation ait changé au point où Herménégilde Chiasson se soit décidé à publier chez un éditeur québécois en toute quiétude, vivre en français en Acadie demeure pour lui un combat quotidien: «Je reviens d’un séjour à Paris et je me suis rendu compte à quel point il y avait une détente quand on est dans un endroit qui est entièrement francophone. Tu n’as pas toujours à t’affirmer ou à te demander si les gens parlent français ou anglais. Mais il y a aussi un effet contraire: cette tension-là génère une énergie qui, pour plusieurs d’entre nous, nous permet d’écrire.»

Minorité invisible

Le poète franco-ontarien Patrice Desbiens est lui aussi un des pionniers de la littérature du Canada français. Tout comme Chiasson, il a connu maintes luttes politiques et culturelles, mais, à son avis, son art ne s’en trouve pas nécessairement garant. Pourtant, c’est à lui que l’on associe une des oeuvres les plus marquantes de l’Ontario français, L’Homme invisible / The Invisible Man, un récit bilingue dont les deux récits, plutôt que d’être la rigoureuse traduction l’un de l’autre, s’avèrent être deux états d’âme variant selon la langue de l’écriture. «C’est une vieille publication, lance le poète, un peu agacé. À cette époque, je ne savais pas que je créais un monstre qui allait ébranler le milieu… Bien sûr, l’homme invisible réfère à l’invisibilité de ne pas avoir de base identitaire fixe. Est-on anglais? Est-on français? On ne sait plus et moi, à cette époque, je ne savais plus.»

Mais visiblement ces questionnements-là ne chatouillent plus Desbiens. S’il vit au Québec aujourd’hui, ce n’est qu’un coup de coeur et non pas pour des raisons culturelles ou politiques assure-t-il. «La langue, ce n’est pas une valise. On ne peut pas l’oublier dans une gare d’autobus ou une gare de trains, elle est toujours là.» Quant à son écriture, elle suit son cours poétique, parfois en copinage avec la musique, comme sur son récent album de poésie Les Moyens du bord.

Un regard sur le monde
Selon l’écrivaine Françoise Enguehard, domiciliée à Terre-Neuve depuis plus de 20 ans, «les écrivains qui vivent dans un milieu où leur culture n’est pas majoritaire sont peut-être beaucoup plus libres intellectuellement, ils ont sans doute une vue beaucoup plus vaste du monde».
Or ce n’est qu’une fois libérés d’une écriture qui tendait au repli sur soi que les écrivains du Canada français ont pu mettre leur situation particulière à profit, pavant du même coup la voie à une nouvelle approche littéraire à laquelle les jeunes auteurs ont adhéré. Stefan Psenak, écrivain, éditeur aux Éditions de L’Interligne en Ontario et directeur de la revue Liaison, l’a observé: «Le combat par le biais de la littérature existe encore. Or je crois qu’il n’est plus dit à la substance des mots, mais dans l’acte même d’écriture, donc à partir du lieu où on écrit et du lieu où on publie.»
Cette nouvelle approche semble jouer en faveur des écrivains puisque, comme le fait noter Psenak, «les publications vont grandissantes et jouissent d’une réception plus large, tant sur leur propre territoire qu’à l’extérieur, au Québec notamment.»