Livres

Entrevue avec Jean Fugère : À propos des shows littéraires

JEAN FUGÈRE est un amoureux des livres. Chroniqueur littéraire au Journal de Montréal, à Clin d’oeil et à la radio de Radio-Canada, il est également l’animateur de J’aime, présentée à Télé-Québec. Il sera au prochain Salon du livre, où il animera entre autres une table ronde intitulée J’aime Québec.

Est-il nécessaire pour la littérature de se donner en spectacle à la télévision ou dans des événements comme les salons du livre?

«La littérature est un acte éminemment solitaire. Je pense qu’il faut valoriser tous les moyens dont on dispose pour briser cette solitude-là, une fois que le livre est lu. La télévision n’est qu’un des aspects de ce que j’appelle le "mémérage" autour du livre. Je trouve déplorable que ce soit la seule référence. Les rencontres entre lecteurs et auteurs et les discussions autour du livre qui se passent dans les salons du livre, dans les bibliothèques ou les clubs de lecture sont, à mes yeux, aussi importantes que la télévision. Dans le Bas-Saint-Laurent, Victor-Lévy Beaulieu a créé une espèce de centre où la littérature est vivante et incarnée… La littérature, c’est quelque chose qui doit être vivant.»

Comment fait-on pour qu’une émission littéraire télévisée «pogne»?

«Le modèle qu’on a, c’est Bernard Pivot; mais il y en a d’autres! Il suffit de regarder Arte en France… Plusieurs formules sont possibles et, souvent, la télévision manque d’imagination. J’aime, par exemple, n’est pas une émission sur la littérature. C’est une émission de conversation qui tourne autour d’un plaisir, mais qui est alimentée par les livres. C’est une formule qui rentre tout à fait dans ce que je disais tout à l’heure: il est important de parler du livre dans un rapport personnel. […] C’est sûr que c’est un spectacle, mais la raison d’être du spectacle demeure le livre.»

Les émissions littéraires sont-elles condamnées à suivre des modes?

«En ce moment, on ne fait que le minimum pour la littérature à la télévision. Quand on a le minimum, on aborde le minimum du spectre. On demeure dans la ligne de ce dont il faut parler. Car il y a des livres dont il faut parler au moment où ils sortent.On va en fonction d’un plus large public parce qu’on sait qu’on est à bord d’une émission littéraire qui est à peu près la seule qui existe et qu’on ne peut pas se permettre d’aller dans des champs trop pointus si on veut que cette émission-là subsiste. Les extrémités du spectre sont souvent largement sacrifiées. Poésie, science-fiction, essais pointus sur le sort de la mouche cantharide, ces choses-là sont éliminées d’office. Mais il y a des possibilités. Je pense au travail que fait Stéphane Lépine à la radio, en couvrant des champs très pointus de la littérature.

Pour moi, la télévision n’est qu’un des aspects de la vie du livre. Personnellement, je suis très curieux de ce qui se passe dans les colloques, les rencontres d’écrivains ou les soirées de poésie. C’est tout ça, la vie du livre. La télévision ne remplit pas ce mandat-là en ce moment, mais elle ne peut pas le remplir non plus de la façon qu’elle est faite…»

Les émissions et salons ont-ils une incidence sur le lectorat?

«Il faudrait le demander aux libraires… Moi, je fais ce métier-là parce que je souhaite que les gens arrivent à mieux connaître leur histoire à travers celles des autres. Les livres, je le crois profondément, changent nos vies. On est entourés d’histoires, on vit à travers des histoires qui nous permettent de nous raconter la nôtre. Lire, c’est prendre l’histoire de quelqu’un d’autre, se réfléchir soi-même à travers elle, ce qui peut amener à élargir sa conscience, son sens du bonheur, à mieux comprendre qui on est. […] Ce que je trouve malade, c’est qu’il semble généralement plus important d’avoir une incidence sur les ventes plutôt que sur les individus.»

Les salons et les émissions littéraires ne sont donc que la pointe de l’iceberg, dans tout ce qui touche au livre?

«Je ne dirais pas ça… Tout est important dans le discours autour du livre. Pourquoi c’est important? Parce que, en bout de ligne, ça permet à un lecteur de mieux vivre, de se confronter à lui-même. La lecture, c’est vraiment se confronter à sa liberté. Quand on lit, on meurt. On ne regarde pas Virginie, on ne va pas voir tel film américain et, pendant deux ou trois heures, on meurt au monde pour vivre à travers une histoire. C’est un choix. À la suite de ce qu’on a vécu dans le livre, on peut avoir envie d’en parler, de savoir ce que d’autres en pensent, de participer à la rumeur qui peut y avoir autour d’un livre. À ce moment-là, les salons du livre, les émissions et les soirées de poésie, tout ce qui permet de prolonger ce plaisir-là est utile. Puisque la télévision, c’est vrai, joue très middle of the road, il faut parfois aller chercher ailleurs. Je crois que les animations des salons du livre permettent souvent des rencontres plus riches. Ce qui compte, c’est ça: la rencontre entre une personne et un livre.»