Ilona Flutsztejn-Gruda : Quand les grands jouaient à la guerre
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Ilona Flutsztejn-Gruda : Quand les grands jouaient à la guerre

Encore un récit sur l’Holocauste? Certes, mais pas seulement «un de plus»: celui-ci se déroule loin des nazis et s’adresse aux jeunes lecteurs. Polonaise ayant immigré à Montréal en 1968 et professeure de biochimie à l’UQAM pendant vingt-trois ans, Ilona Flutsztejn-Gruda a écrit l’histoire de sa jeunesse avant tout pour la transmettre à ses enfants et à ses petits-enfants.

Quand les grands jouaient à la guerre
d’Ilona Flutsztejn-Gruda
Encore un récit sur l’Holocauste? Certes, mais pas seulement «un de plus»: celui-ci se déroule loin des nazis et s’adresse aux jeunes lecteurs. Polonaise ayant immigré à Montréal en 1968 et professeure de biochimie à l’UQAM pendant vingt-trois ans, Ilona Flutsztejn-Gruda a écrit l’histoire de sa jeunesse avant tout pour la transmettre à ses enfants et à ses petits-enfants.
Il ne s’agit pourtant pas d’une sorte de Journal d’Anne Frank rétrospectif, car le destin des deux narratrices emprunte des routes bien différentes: tandis que la famille Frank s’est cachée avant d’être arrêtée puis déportée au camp de Bergen-Belsen, où Anne est morte peu avant la fin de la guerre, la petite Ilona et ses parents se sont enfuis de Pologne dès 1939, pour n’y revenir qu’en 1946. C’est le récit de cet exil en Ouzbékistan, aux confins de la Russie stalinienne, que la narratrice nous livre, retrouvant avec une mémoire aiguë le souvenir des privations, ainsi que les émotions intimes d’une jeune fille de 9 à 16 ans, ses joies, ses rêves et son courage surnageant dans le désespoir.
Malheureusement, à la précision du détail, l’auteure sacrifie la vivacité du style: les événements sont compilés scrupuleusement et trop peu de dialogues sont rapportés, sans doute par souci de vérité. Pour raconter cette période noire de l’Histoire, les juifs sont nombreux à ne pouvoir tout simplement pas romancer; ils ne peuvent que témoigner. Ainsi, cette lecture est d’un intérêt avant tout documentaire et humanitaire, ce qui n’est pas rien! Si ses commentaires sur la guerre en tant que telle sont rares – les exilés n’en reçoivent que des échos lointains -, la narratrice s’interroge sur les causes du racisme: «[…] persécuter l’autre qui est différent crée des liens entre les membres d’un groupe et renforce un sentiment sécurisant d’appartenance.»
Compassion et vulnérabilité, voilà ce dont semble avoir hérité l’auteure, à parts égales. Elle termine en effetson témoignage par une poignante énumération, laconique comme le reste, des souvenirs d’alors qui continuent de l’habiter: «Quand le réfrigérateur est vide à la maison et que j’ai l’intention d’aller faire mon marché, la pensée qu’avec ce qui me reste on pourrait nourrir une famille de trois personnes pendant un bon mois me vient toujours à l’esprit. […] Dans tout nouvel appartement, je cherche l’endroit où l’on pourrait aménager une cachette.» Aujourd’hui, partout dans le monde, il y a des milliers de ces enfants à l’innocence brisée par la guerre. À travers son histoire personnelle, l’auteure, on le sent bien, parle aussi de tous ces enfants-là. Éd. Actes Sud Junior, coll. «Raisons d’enfance», 224 p.