Livres

La science-fiction québécoise : Futur composé

Genre souvent laissé pour compte, la science-fiction n’a jamais eu la vie facile dans le paysage littéraire québécois. Pourtant, les auteurs persistent et, mine de rien, ils sont présentement au sommet de leur art.

Science-fiction. n. f. – v. 1950. anglic. Genre littéraire qui fait intervenir le scientifiquement possible dans l’imaginaire romanesque.

La définition est tirée du Petit Robert. On pourrait peut-être ajouter «genre littéraire méconnu ou mal connu, snobé et mésestimé» car s’il est un type de littérature qui n’a pas la vie facile au Québec, c’est bien celui-là. Trop spécialisé pour les uns, pas assez littéraire pour les autres, la SF est surtout victime de son image médiatique, car le genre est loin de se confiner aux gadgets, aux petits bonshommes verts ou aux fusées. Il peut se réclamer de l’anticipation, de l’uchronie – supposition de ce que serait devenue l’histoire si un événement important s’était déroulé autrement – comme il peut donner dans le space opera à la Star Wars. Les possibilités sont donc immenses, les Américains et les Britanniques l’ont bien compris, les Français aussi, dans une moindre mesure, mais les Québécois, de leur côté, sont encore réticents au genre.

Voyage dans le temps

Selon le critique et spécialiste Claude Janelle, c’est en 1974 que l’on situe la naissance de la science-fiction québécoise moderne, année qui marque l’avènement de la revue Requiem, devenue Solaris. C’est à partir de cette époque que le milieu s’est peu à peu doté de moyens pour mieux se développer: des éditeurs lui ont accordé des collections, une seconde revue, Imagine, a été mise sur pied, des colloques bientôt suivis des congrès Boréal ont eu lieu et le Grand prix de la science-fiction et du fantastique québécois a été instauré. «On peut dire que les années 70 ont été les balbutiements, que les années 80 ont été la période de développement la plus intensive alors que les années 90 ont été davantage une période de consolidation des acquis, où plusieurs auteurs sont passés à un stade de professionnalisme», résume Claude Janelle.

Il aura donc fallu une trentaine d’années pour que les artisans de la SF québécoise puissent aspirer à une certaine renommée, peaufinant leur art dans des conditions difficiles tout en trouvant leur niche dans le genre, grâce à des thèmes et à une approche qui leur sont propres. «La SF québécoise est assez portée sur la psychologie des personnages, indique Claude Janelle. L’identité est un thème récurrent dans l’oeuvre de plusieurs écrivains québécois de SF, qu’elle soit nationale ou individuelle. Une autre des caractéristiques, c’est que les bons auteurs sont souvent des femmes: Esther Rochon ou Elizabeth Vonarburg par exemple. Il y en a moins que les hommes, mais leurs oeuvres sont de très haut calibre.»

La situation de l’écrivain

La situation des écrivains de SF n’a rien d’enviable: peu de couverture médiatique, lectorat restreint. Toutefois, au fil des ans, plusieurs écrivains ont trouvé le moyen d’élargir leur public et d’accroître leurs publications en se faisant traduire ou en publiant directement en anglais. «Il y a un impact certain, explique Joël Champetier, nominé pour la 17e édition du Grand prix avec L’Aile du papillon. C’est plus payant et on acquiert une visibilité chez les Américains: depuis que j’ai été traduit, j’ai été invité à trois congrès anglophones dont un à Boston.»

Mais outre les traductions, c’est l’avènement d’une maison d’édition entièrement dédiée à la SF qui aura permis aux romanciers et au genre de s’émanciper dans les années 90. «C’est la situation de l’offre qui a changé, indique Daniel Sernine, dont le roman Chronoreg, une uchronie située en 2005, une époque où le Québec est devenu souverain, vient d’être réédité. Le nouveau facteur dans le paysage, c’est les éditions Alire: c’est la première fois qu’il y a un éditeur qui se consacre entièrement au genre, qui publie en livre de poche, donc à un prix abordable, et qui fait une bonne promotion.»

Nouvelles préoccupantes

Si du côté du roman la situation de la SF québécoise est au beau fixe, du côté de la nouvelle la situation est plus préoccupante. La disparition de la revue Imagine, il y a deux ans, a inquiété et inquiète toujours: les auteurs n’ont plus qu’une seule revue francophone canadienne plus ou moins professionnelle – Solaris – pour publier leur nouvelles. Qui plus est, Solaris s’est vue retirer ses subventions fédérales. «Ça met le genre en danger, croit l’écrivain Joël Champetier, rédacteur en chef de la revue. Les revues sont des noyaux pour le milieu littéraire car elles offrent une continuité pour les auteurs, notamment du côté de la critique et de la nouvelle, sans compter que c’est le lieu de développement de la relève.»
De son côté, notre collaborateur, l’écrivain Alix Renaud, qui vient de publier Ovation, un recueil de nouvelles, voit en Internet une alternative intéressante: «Le plus gros débouché à l’heure actuelle reste le Web, mais on n’a pas encore réussi à mettre au point une législation pour les droits d’auteurs, c’est un autre problème.» De fait, on trouve plusieurs sites consacrés à la SF où les auteurs peuvent publier leurs nouvelles, même que certains profitent des possibilités multimédias pour ajouter musique et narration.
Un autre défi est à relever pour les écrivains de la SF québécoise, mais demeurons confiants car, comme le note Alix Renaud, «ce qui est intéressant, c’est que malgré toutes les difficultés associées au genre, il y a encore des auteurs qui écrivent de la SF au Québec!»____