England England/Les Quatre Vérités : Briser son image
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England England/Les Quatre Vérités : Briser son image

Deux grands écrivains anglais lancent sur leur pays un regard cinglant et décapant. Voici England, England, de Julian Barnes, et Les Quatre Vérités, de David Lodge. Voyages au pays des apparences.

On aura beau dire: l’humour doit être l’une des principales contributions de l’Angleterre au monde, au même titre que la Magna Carta, la BBC, le cricket ou la presse à scandale. Qu’ont en commun – outre les allusions à cette incontournable icône anglaise qu’est la famille royale – les tout nouveaux romans de David Lodge et de Julian Barnes, deux des meilleurs écrivains britanniques contemporains? Un regard satirique, of course. Cette ironique vision du monde qu’on semble cultiver allégrement au pays d’Evelyn Waugh, Jane Austen et Jonathan Coe. Dans la littérature, en tout cas.

Avec Les Quatre Vérités, David Lodge signe un malicieux petit conte moral, qui orchestre un match de revanche entre la littérature et la méchante presse – particulièrement vorace en Angleterre, comme on le sait. Retirés à la campagne, Adrian, un ex-écrivain célébré recyclé dans les anthologies, et sa femme Eleanor reçoivent la visite impromptue d’un vieil ami, Sam. Un auteur de téléfilms à succès, vilainement écorché dans la presse du dimanche. La coupable: Fanny Tarrant, reconnue pour ses entrevues vampiriques et sa plume empoisonnée. «Le bluff promotionnel prend maintenant tant de place que les gens confondent le succès avec la qualité authentique. Je suis là pour leur rappeler la différence», se défend la journaliste.
En furie, Sam imagine une contre-attaque: sous couvert d’interview, Adrian recevra à son tour la rapace reporter, afin d’en tirer lui-même un portrait vénéneux. L’arroseur arrosé, quoi. Mais les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu…
Adaptée de la seconde pièce du caustique auteur de Jeu de société, la novella conserve l’empreinte du théâtre, avec sa facture très dialoguée, dépourvue d’introspection. L’ironie de ce petit livre très léger mais habile n’épargne presque rien: l’auteur qui a renoncé à écrire par peur des critiques (et qu’on surprend désormais à lire l’endos des boîtes de céréales le main!); la vanité de l’écrivain populaire qui donne dans le fast-food; et surtout, plus largement, «la culture du commérage» qui consomme les gens de lettres au même titre que les autres personnalités publiques. Mais où les auteurs ne sont quand même qu’une denrée de seconde importance, qui doit céder le pas à des événements de plus grande envergure, comme nous le rappelle la savoureuse finale… Un bonbon plutôt acidulé.

L’île aux trésors
Si David Lodge montre ses compatriotes s’abandonnant aux dérives de l’information-spectacle, Julian Barnes, lui, fait de l’ironie sur le dos de son pays, à travers ce drôle de miroir qu’est England,England. Dans son dixième livre, mais sa première oeuvre romanesque depuis six ans, le brillant auteur raconte le rêve de Sir Jack Pitman, un milliardaire énergique et un rien mégalomane, d’accoucher d’un ultime grand projet: l’édification sur l’île de Wight d’une réplique miniature de l’Angleterre, une sorte de parc qui reprendrait ses éléments les plus connus et offrirait aux touristes étrangers la reconstitution de tout ce qu’ils savent déjà de l’histoire britannique. Résultat: «(…) tout ce que vous avez imaginé qu’était l’Angleterre, mais en plus pratique, propre, amical et efficace»!
Les principales composantes de la fière Albion s’y retrouvent donc, de Big Ben au Magasin Harrods, des falaises de Douvres au fameux flegme anglais. La famille royale (un peu en disgrâce, quand même, avec ce jeune couple régnant qui multiplie les infidélités) se fait bien tirer l’oreille, au début, pour déménager ses pénates dans l’île. Mais de forts arguments – dont l’absence de paparazzi malveillants, tiens, tiens… – convainquent les monarques, désormais sans pouvoir. Car l’île devient une sorte de gigantesque entreprise, sans chômage ni gouvernement. «Un État purement basé sur l’économie de marché.»
Petit pépin: les acteurs se prennent au jeu, en viennent à croire à la véracité de leurs personnages. Les faux contrebandiers se mettent à faire de la vraie contrebande les simulacres de Robin des Bois et de ses joyeux compagnons à jouer des flèches… Et, bien sûr, les touristes ont tôt fait de préférer la contrefaçon à l’original, qui se vide de ses habitants et finit par se fermer totalement à l’étranger…
Impossible de résister à l’ironie jouissive avec laquelle Julian Barnes se moque de l’image de l’Angleterre, avec ses personnages publics impliqués dans des scandales sexuels, ses caractéristiques censément typiquement britanniques (dont le snobisme et la flagellation!), si l’on en juge par un sondage international.
Mais de ce qui pouvait ressembler à une farce, l’auteur du Perroquet de Flaubert fait un étonnant roman sur l’authentique et le faux-semblant, sur le poids de l’histoire et la modernisation. Une réflexion intelligente et plus profonde (qui s’achève d’ailleurs sur une note plus mélancolique) sur un monde où l’on favorise la réplique à l’original. Où l’on aime bien visiter les vieux pays, mais en autant qu’ils offrent tous les conforts du monde moderne…

Les Quatre Vérités
Traduit de l’anglais par Suzanne V. Mayoux
Éd. Rivages, 2000, 182 p.

England, England
Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin
Éd. Mercure de France, 2000, 357 p.