Hanan El-Cheikh : Le Cimetière des rêves
Si l’on entend souvent parler du sort des femmes arabes sous la loupe des journalistes politiques, il est rare de connaître le point de vue d’une romancière sur le sujet. C’est celui de Hanan El-Cheikh que l’on peut lire dans ce très beau recueil de nouvelles, Le Cimetière des rêves.
Si l’on entend souvent parler du sort des femmes arabes sous la loupe des journalistes politiques, il est rare de connaître le point de vue d’une romancière sur le sujet. C’est celui de Hanan El-Cheikh que l’on peut lire dans ce très beau recueil de nouvelles, Le Cimetière des rêves. La quinzaine de courts récits présentés dans ce livre sont autant de vies, de destins malheureux que veulent éviter les héroïnes de la romancière, et celle-ci les aide à sortir du guêpier.
Née au Liban en 1945, El-Cheikh a déjà publié plusieurs romans et recueils de nouvelles, dont le très beau Femmes de sable et de myrrhe, paru en 1992. Les nouvelles du Cimetière des rêves racontent plusieurs épisodes marquants de la vie des femmes: mariage, découverte de l’amour, de la solitude, désir de création, ambition; mais, plus que tout, ces femmes prendront tous les moyens pour conjurer le sort. Dans Aussi vieille que la folie, la narratrice confesse feindre la folie pour échapper à son malmariage. Ainsi, sa future belle-mère met son cher fils en garde: «Je te préviens: elle te tuera, elle t’empoignera, elle te déchirera à belles dents, cette chienne! Elle te brûlera, elle te lardera de coups de couteau pendant ton sommeil!» Et c’est exactement ce que souhaite la jeune femme: faire peur à cette famille étouffante pour qu’ on la rejette, une fois pour toutes,.
Dans La Foire aux mariées, Almanza frissonne à l’approche de cette fête où se rencontrent hommes et femmes à la recherche de l’amour. Et, pour entretenir son plaisir, elle simulera la maladie afin que personne ne l’épouse! «(…) elle n’était pas malade, mais elle avait décidé de ne pas avoir d’époux, des années auparavant, quand elle avait découvert que le seul résultat du mariage, c’était de geler ces sentiments qui avaient le don de faire battre les coeurs, de susciter une attente anxieuse, en colorant tout d’un jour si particulier.»
L’écriture de Hanan El-Cheik, tout en finesse et en humour noir, décrit la vie de ces femmes privée, puisque c’est souvent la seule qu’on leur laisse vivre), les sentiments qui les animent, leurs peurs et leurs plus grands rêves. Car le point commun de ces nouvelles est certainement la quête de liberté que ces femmes ne veulent pas sacrifier à l’autel de la tradition familiale. «En apercevant au loin la petite troupe qui s’avançait vers nous, j’ai eu l’impression que le souffle me manquait. Ainsi, nous ne faisions qu’une seule famille? Nous vivions ensemble et nous allions mourir ensemble?»
Certaines nouvelles se déroulent à Londres, ville dans laquelle réside l’auteure depuis plusieurs années. C’est l’occasion rêvée pour elle de parler de ces rencontres entre la vie moderne et l’héritage familial des femmes arabes hors de leurs pays. «Rien que la vision d’Aïcha arrivant à la porte, après le travail, chargée de sacs, avec cette odeur de parfum et de tabac froid qui se dégageait de son manteau, me mettait en transe: moi aussi je voulais revenir avec des provisions, porter un manteau…»
À la fin, les nouvelles se donnent à lire aussi comme une longue réflexion sur la liberté. Car la vie moderne a ses prisons, que les femmes arabes ne connaissent pas. Éd. Actes sud, 2000, 217 p.