Les Mal Partis : Le rouge et le noir
Un nouveau roman de Sébastien Japrisot? Pas du tout. Simple bonbon pour faire patienter les fans jusqu’au prochain. Voici Les Mal Partis, roman d’amour et d’apprentissage, où se lisait déjà le talent de l’écrivain.
Sébastien Japrisot
(de son vrai nom Jean-Baptiste Rossi, né en 1931) est un grand écrivain, et il le sait. Qui se permettrait, en effet, de sortir un premier roman pour faire patienter ses fans jusqu’au prochain, promis pour l’automne 2001? Lui, en tout cas, ne se gêne pas. Sa confiance en lui se lisait déjà en 1950, puisqu’il se dédicaçait son propre livre! Il faut tout un culot.
Ce premier roman, écrit à 18 ans, n’a pas encore la force et la maîtrise de son Compartiment tueurs ou de sa Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil. Surtout, c’est un sujet qui avait déjà inspiré un livre-choc: Le Diable au corps, auquel d’ailleurs Les Mal Partis fut comparé. Mais ce roman du jeune Japrisot est tout de même bien loin d’être un navet, et vous l’avalez le temps de le dire.
Marseille. «Année où Denis entre en quatrième.» Élève chez les jésuites, Denis Leterrand, 14 ans, est ami avec Pierrot (au nom si français et si «années 40»). Alors que la guerre bat son plein, les deux garçons sortent de l’enfance, et sont à la veille de grands changements de tous ordres: social, politique, et, surtout, personnel, voire hormonal.
C’est à la faveur de visites organisées par son collège à l’hôpital que Denis fait la rencontre de soeur Clotilde. «Quel âge pouvait-elle avoir? Elle lui paraissait très jeune mais Denis se trompait toujours lorsqu’il essayait de donner un âge à une figure inconnue. Et puis, pourquoi était-elle religieuse? Sans doute, elle était pieuse et bonne, mais pourquoi était-elle religieuse avec un si joli visage?»
C’est peu dire que le jeune homme en tombe amoureux: il est littéralement happé par cette nonne dont il découvre qu’elle a douze ans de plus que lui… Enfer et damnation. Si le drame est raconté par le regard de ce pauvre petit Denis, c’est la jeune nonne qui se tape le sale boulot dans cette histoire. Elle tente de cacher par tous les moyens et aussi longtemps qu’elle le peut le drame qu’elle vit, qui ruine sa «carrière» et brise la confiance d tout son entourage. Elle cache ses rencontres avec Denis en prétextant des cours de latin, dont tous deux se fichent éperdument, eux qui ne parlent que de l’éternité de leur amour.
Mais les deux amants n’ont aucun mal à vivre cette passion interdite, qui est, pour l’un et pour l’autre, une véritable initiation. «Lorsqu’il s’écarta, elle était pâle, le voile un peu défait, et il éprouva une sorte d’affolement, de vertige. Il n’y avait qu’elle, sans doute, qui pût comprendre. C’était aussi son premier baiser, le seul qu’elle eût jamais reçu.»
Malgré les apparences de clichés, ce roman, au titre assez moche, il faut l’avouer, fonctionne au quart de tour. La psychologie des personnages est fine, la narration, originale, efficace, touchante, vivante, pleine de ferveur, à l’image des héros décidés à contrecarrer la morale des bien-pensants de l’époque. «Ils veulent m’obliger à quoi? Je les emmerde tous avec leurs balivernes. Vous entendez, je vous emmerde tous. S’ils m’entendent, tant pis. S’il n’y a pas d’enfer, je serai bien attrapé d’avoir gâché ma vie. Ça me fera un drôle de coup en me réveillant mort. Le pari de Pascal. Balivernes. Un baiser pour le prix de mon âme. La chambre. Ton regard, tes bras, ta bouche entrouverte, ton visage éperdu sur l’oreiller, c’est toi mon âme.»
Difficile de résister à cette écriture si directe, si intense, à cette tragédie ayant pour décor un pays surveillé, étouffé à l’image des amoureux. C’est d’ailleurs ce que pense lui-même Sébastien Japrisot, lui qui confiait au magazine Livre-Hebdo, en janvier dernier, que Les Mal Partis resterait dans la littérature comme Madame Bovary et La Symphonie pastorale, puisque ce roman lui a porté chance. Je ne vois pas très bien le rapport avec la chance, mais plutôt avec une estime de lui-même hors de proportion, qui, heureusement, ne se voit nullement dans ce premier roman.
Les Mal Partis
de Sébastien Japrisot
Éd. Denoël, 2000, 271 p.