C'est comment l'Amérique? : Les apprentissages
Livres

C’est comment l’Amérique? : Les apprentissages

Dans Les Cendres d’Angela, magnifique premier tome des mémoires de Frank McCourt ayant propulsé le sexagénaire au firmament des auteurs de best-sellers, il était question de la survie à une pauvre enfance irlandaise. La suite, fort réussie, de cette oeuvre autobiographique, C’est comment l’Amérique? (traduction de ‘Tis…), fait le récit de sa longue et ardue conquête du Nouveau Monde, à partir du moment où il met le pied à New York, seul, en 1949.

Avec ses épreuves et son laborieux triomphe contre l’adversité, l’histoire de Frank McCourt paraît exemplaire. Ce pourrait être le dur parcours de moult immigrants. Élevé dans l’indigence, le malheur et l’alcool, ce fils d’Irlande débarque un bon jour à Ellis Island, s’extirpe péniblement de la misère, à force de labeur, avant de connaître, sur le tard, la fortune et la gloire promises par l’American Dream

Dans Les Cendres d’Angela, magnifique premier tome de ses mémoires ayant propulsé le sexagénaire au firmament des auteurs de best-sellers, il était question de la survie à une pauvre enfance irlandaise. La suite, fort réussie, de cette oeuvre autobiographique, C’est comment l’Amérique? (traduction de ‘Tis…), fait le récit de sa longue et ardue conquête du Nouveau Monde, à partir du moment où il met le pied à New York, seul, en 1949. Comment y faire sa place quand on est un jeune Irlandais de dix-neuf ans, avec des rêves plein la tête, mais pas un sou vaillant en poche, et qu’on a quitté l’école très tôt?

Avec un sens aigu de l’autodérision, McCourt fait le récit des humiliations qui jalonnent ses premières années en Amérique. Les petits boulots dégradants, où les clients nantis reluquent ses dents abîmées et ses yeux suppurant d’infection. Les trips de pouvoir des gradés, alors que, appelé sous les drapeaux lors de la guerre de Corée, il séjourne en Allemagne.

L’auteur reconnaît pourtant ses dettes envers Mao Tsé-Toung: c’est la bourse de l’armée qui lui permet de faire ses premiers pas à l’université. Toute une marche à gravir pour cet amoureux de littérature qui n’a même pas son «brevet d’études secondaires». Tout en travaillant le soir, le petit pauvre y découvre avec étonnement les étudiants fortunés, férus d’existentialisme, qui dissertent sur le désespoir et l’absurdité du monde; il s’aperçoit que le misérable passé dont il rougit tant est une «riche» matière littéraire; et il rencontre l’amour en la personne d’une beauté WASP, avec qui l vivra un mariage chaotique. Diplôme en poche, Frank McCourt fait ses débuts absurdo-cauchemardesques de prof d’anglais dans un établissement d’enseignement professionnel et technique. Profs démotivés, élèves dissipés qui se refusent au moindre travail: on s’y croirait…

Les épisodes burlesques se succèdent ainsi, l’auteur ne nous épargnant pas les passages peu glorieux de son existence, ni la misère morale qui règne autour de lui, avec ce mélange de drôlerie et d’émotion au premier degré qui caractérise sa narration et la rend si singulière, si vivace. Intégrant des dialogues qui font swinguer tout le récit, cette langue souvent très orale – ce qui complique drôlement la tâche du traducteur, et nous vaut bien sûr une version mâtinée d’argot – nous happe dans son rythme, et ressuscite le passé en lui donnant la qualité du présent. Avec une acuité qui ne sacrifie pas l’empathie, l’auteur a aussi le don d’arracher les personnages à la vie en quelques traits, de rendre leur destin tangible.

Si on a parfois, assez rarement, l’impression que McCourt fait du McCourt, forçant un peu sur la naïveté du regard, c’est que son ton est aussi souvent l’écho d’une certaine inadéquation au monde. C’est comment l’Amérique? est d’abord le récit d’une quête identitaire. Constamment ramené à ses origines, trahi par son accent, le Frank McCourt des années d’apprentissage rêve d’intégration. Partagé entre l’Irlande et l’Amérique, entre la honte de ce qu’il est et l’envie de ce qu’il voit; entre la tentation d’une vie facile où l’alcool coule à flots et son désir de réussite, sa soif de reconnaissance; entre la culpabilité et sa faiblesse héréditaire: le prof-qui-n’est-jamais-allé-au-lycée cherche confusément sa place dans le monde.

Mission accomplie, sans doute, pour celui qui rêvait de voir la jaquette d’un livre écrit par lui orner le mur de son bar préféré. Avec cette belle oeuvre qui s’achève en 1985, alors que les fils McCourt répandent enfin les cendres d’Angela, leur mère, sur la verte terre de lers ancêtres, l’auteur boucle la boucle. On quitte à regret ces personnages si attachants, et d’abord Frank McCourt lui-même, auquel l’écrivain a su rendre justice dans leur combat existentiel. D’autant qu’il nous a fait le cadeau d’un humour vital, qui rend supportable ce qui ne l’est pas.

C’est comment l’Amérique?
de Franck McCourt
traduit de l’américain par Daniel Bismuth
Éd. Belfond, 2000, 395 p.