Roland Bourneuf : Le Traversier
Livres

Roland Bourneuf : Le Traversier

Comme son titre le laisse présager, le quatrième recueil de Roland Bourneuf s’articule autour de la thématique du passage. Les quatorze nouvelles qui composent Le Traversier racontent la transition qui mène l’être tourmenté vers un ailleurs plus serein.

Comme son titre le laisse présager, le quatrième recueil de Roland Bourneuf s’articule autour de la thématique du passage. Les quatorze nouvelles qui composent Le Traversier racontent la transition qui mène l’être tourmenté vers un ailleurs plus serein. Au seuil d’importants changements, les personnages rompent avec le quotidien, voient leurs sens exacerbés, leur âme s’ouvrir à l’invisible.

Pour que l’accent demeure sur le sentiment, l’auteur ne trace les contours du décor qu’avec des traits approximatifs, situant l’action en des lieux imprécis, à une époque indéfinie (çà et là, quelques indices nous laissent toutefois deviner des contrées, des contextes historiques).

La plupart des textes sont écrits au je, les autres mettent en scène un personnage solitaire, qu’un jour pas comme les autres confronte à lui-même. C’est le cas de Victor, dans La Forteresse. Victor visite un lieu où il a travaillé jadis, un fort situé en Afrique, vraisemblablement, où des colons blancs auraient longtemps martyrisé des Noirs. L’homme, maintenant âgé, revit intensément certains épisodes, puis, ébranlé, s’engage dans une «dernière étape», que l’auteur ne précise guère.

Souvent, Bourneuf suggère plus qu’il n’explique, et le lecteur doit poursuivre en pensée le parcours esquissé par les mots. Dans Une trace, à peine, Édouard, un bourgeois rangé, remet soudain tout en question. Son mariage, sa vie, son avenir. Quand il marche vers un lac à peine gelé, une nuit, est-ce pour s’y aventurer et se laisser engloutir par la mort? N’est-ce pas plutôt pour voir apparaître le fil perdu de sa vie? Au lecteur, d’inventer ses prochains pas.

Plus loin, dans Dormeuse, on assiste à un habile glissement du réel à l’imaginaire. Une statue de cire, sous le regard du narrateur, s’éveille, s’anime et court dans des bois enchantés. C’est le désir qui a engendré la belle, comme une urgence, comme un rêve sur le point de mourir faute de prendre corps.

L’écriture est riche entre les lines, pleine d’images en clair-obscur, puis il y a quelques phrases intouchables, petits joyaux semés en chemin: «Quand il redémarra, un mot surgit. Une bulle qui s’arrondit dans une flaque du ruisseau à l’abri du courant, qui s’accroche à un caillou et crève. Immortalité.»

Rares sont les recueils d’une telle cohérence thématique. À l’instar du personnage de la nouvelle-titre, les êtres dépeints par Bourneuf traversent des mers intérieures, frôlant l’abîme, pour atteindre de nouveaux rivages. Est-ce la mort qui les attend? Est-ce l’amour? Le vide? «Ces errances entre chien et loup me conduisaient-elles plus près du vrai? Fallait-il donc rompre avec ces charmes par lesquels je me persuadais d’être libre et croyais affirmer ma condition de passant, ou bien les porter comme le lot qui m’était confié?»

Éd. L’instant même, 2000, 141 p

Le Traversier
Le Traversier
Roland Bourneuf
L’instant même