Vers chez les blancs : Boulevard du crime
Livres

Vers chez les blancs : Boulevard du crime

Un nouveau roman de Philippe Djian peut encore susciter tous les espoirs. Vers chez les blancs, qui raconte les hauts et les bas de la vie d’un écrivain, ne tient malheureusement pas ses  promesses.

«Bien souvent, je me demandais ce que j’avais fabriqué de tout l’argent qui m’était passé entre les mains à l’époque où chacun de mes livres se transformait en best-seller par l’opération du Saint-Esprit. Comment se faisait-il que je ne fusse pas moi aussi installé au-dessus des toits, jetant un coup d’oeil paresseux sur quelque roman en cours avec un cocktail de fruits frais dans une main et un Monte Cristo dans l’autre?» Il se le demande bien, Francis, le héros écrivain de Vers chez les blancs, le nouveau roman de Philippe Djian.

Le temps où les succès pleuvaient est loin; et il arrondit ses fins de mois, lui qui est poursuivi par le fisc, en vendant un genre de spiruline magique qui rend ses amis immensément beaux et pleins d’énergie. Francis, pour faire plaisir à son éditeur, avec qui il veut rester en bons termes, s’occupera aussi de Patrick Vandhoeren, jeune auteur couvert de gloire (et dont le nom ressemble beaucoup à celui du héros de Quiz Show, film de Robert Redford dans lequel un homme vend son âme au diable: le showbiz). Difficile à gérer, le succès pour le talentueux Patrick à qui Francis apprendra les détours de la vie d’écrivain.

Parallèlement à cette activité particulière, Francis est poussé par sa femme Édith à tenter de convaincre Nicole, l’épouse de Patrick, de faire un film porno. Cela devient, pour le héros, une obsession. Partout où il peut, Francis se tapera cette Nicole (aucunement victime, cela dit), sérieuse avec son chignon de vieille fille, mais qui, bien sûr, dévoile avec lui tous ses charmes et ses plus grands fantasmes.

Cela vaudra au livre de Djian cette réputation de roman porno, tant annoncée dans la presse française, puisque très régulièrement, au long du récit, on a droit à des scènes olé olé, qui, à force d’acrobaties, deviennent tout à fait burlesques. On rit d’ailleurs beaucoup dans ces passages, comme dans le reste du roman – mais j’ai bien peur que ce ne soit pas pour les bonnes raisons. On se souviendra par exemple de cette scèn où Francis et Olga, également auteure (une autre conquête de Francis, irrésistible don Juan, évidemment), essaient pendant leurs culbutes d’écouter l’émission littéraire à la mode, pendant laquelle Olga se fait démolir par un critique. «Je la couche sur le dos. Ainsi, elle voit l’écran à l’envers, ce qui n’est pas plus mal car nous en sommes enfin arrivés à l’instant de la mise à mort. Depuis quelques minutes, j’ai remarqué un éclat gourmand dans l’oeil du critique et il ne m’a pas échappé que le thème de l’érotisme dans l’oeuvre d’Olga Matticcio n’a pas encore été abordé.»

Placards et cuisines
Tout cela sent le désabusement, le cynisme. Dans ce roman, Philippe Djian, auquel ses personnages d’écrivains ressemblent à s’y méprendre, a rendu les armes, et ne se préoccupe plus une seule seconde de ses lecteurs. Ou plutôt, il est un peu trop apparent que chacune des personnes visées se reconnaîtra dans ce roman à clés, où tant de noms et de prénoms sont aussi donnés: Angelo Rinaldi, qui a déjà traîné Djian dans la boue, mais aussi Houellebecq, Angot, Darrieussecq, et bien d’autres qui, eux, tiennent la vedette aujourd’hui; ajoutez à cela des pointes envers ceux qui oeuvrent dans les coulisses de l’édition et des médias, et vous avez le bottin du milieu littéraire parisien.

Djian tente de raccrocher son entreprise à celle de Bret Easton Ellis, de Nick Hornby, et d’autres auteurs desquels il se réclame; mais, franchement, quand un écrivain fait le travail à votre place, on se dit qu’il n’avait pas grand-chose à raconter.

On ne saura rien de cette Édith, énigmatique, la femme parfaite et silencieuse qui encourage les liaisons pornographiques de son mari, à la condition qu’elles soient insignifiantes. On en saura un peu plus sur cette Nicole, malheureuse en ménage et qui se défoule avec Francis, et à qui elle s’attachera malgré tous ses efforts pour rester distante. De ce vaudeville branché, parigot et exaspérant, on retiendra que la révolte, la passion et l’indignation ne font pas partie despréoccupations de l’auteur de 37,2 le matin et de Maudit Manège; lui qui aurait pu les mettre à profit en dénonçant l’hypocrisie d’un milieu qui semble l’accabler depuis un certain temps, comme il accable certainement d’autres écrivains. Au lieu de cela, Djian, dont la plume sait pourtant être si belle, signe un roman sinistre, triste, où plus rien ne touche ni son lecteur ni sa lectrice.

Vers chez les blancs
de Philippe Djian
Éd. Gallimard, 2000, 375 p.