Christian Gailly : Nuage rouge
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Christian Gailly : Nuage rouge

Avec Jean Échenoz, Christian Oster et Jean-Philippe Toussaint, Christian Gailly complète le brillant quatuor de romanciers des éditions de Minuit qui combine intelligence, accessibilité et humour. Gailly, qui fut, entre autres, musicien de jazz avant de transposer sa musicalité dans une dizaine de romans, nous entraîne, avec ce Nuage rouge, dans un brouillard enchanteur, où la banalité rivalise avec le rocambolesque.

Avec Jean Échenoz, Christian Oster et Jean-Philippe Toussaint, Christian Gailly complète le brillant quatuor de romanciers des éditions de Minuit qui combine intelligence, accessibilité et humour. Gailly, qui fut, entre autres, musicien de jazz avant de transposer sa musicalité dans une dizaine de romans, nous entraîne, avec ce Nuage rouge, dans un brouillard enchanteur, où la banalité rivalise avec le rocambolesque.

Le narrateur de cette histoire tragico-burlesque s’étonne de croiser, sur une petite route déserte de son coin de province, la voiture de son grand ami Lucien: car c’est une femme au visage ensanglanté qui se trouve derrière le volant. Retrouvant son copain, il apprendra qu’une jeune et jolie Danoise tombée en panne, et que Lucien avait secourue, n’aura pas lésiné sur sa défense quand le bon Samaritain se sera transformé en violeur, le privant ainsi pour le reste de ses jours du «cerveau incontrôlable» qui gonflait entre ses jambes à la vue d’une belle femme.

Lucien devient inconsolable. Il mandate son ami, dont on n’apprendra le nom qu’à la dernière page – de retrouver sa castratrice, de qui il est mystérieusement amoureux. Mais elle dirige un musée à Copenhague: qu’à cela ne tienne, l’estropié financera le voyage. Au grand plaisir de notre complice, surtout que les choses vont plutôt mal avec sa femme Suzanne.

Ce récit, joyeusement emberlificoté, nous est livré en toute confiance, faisant du lecteur un confident. Ce qui n’empêche pas Gailly de rigoler en se servant de certaines tactiques qui furent fort prisées chez les écrivains du nouveau roman, que défendait la même maison d’édition dans les décennies antérieures. À preuve, ce clin d’oeil à la répétition séquentielle, qui fut chère à la bande de Robbe-Grillet, après que Gailly eut reproduit textuellement, une seconde fois, un passage narré précédemment. «-Cette reprise est délibérée. Je supplie mon futur éditeur, s’il s’en trouve un pour me publier, de ne pas la supprimer. En musique, dans le temps, onrépétait ce que l’auditeur aimait à entendre. Moi, je répète ce que le lecteur a horreur de lire.-»

Après le Goncourt d’Échenoz et le Médicis d’Oster, Gailly vient, quant à lui, de remporter le prix France-Culture. Décidément, cette année, les Français auront récompensé une littérature qui n’affiche pas de prétentions intellectuelles, tout en préservant une qualité et un caractère innovateur. On en prendrait plus souvent.

Éd. de Minuit, 2000, 191 p.