La petite fille qui aimait Tom Gordon : Tous contes faits
Livres

La petite fille qui aimait Tom Gordon : Tous contes faits

Le King du roman d’horreur a frappé sur Internet avec la parution en ligne de son roman Riding the Bullet, alors que sort également sur papier un roman traduit en français, La petite fille qui aimait Tom Gordon. Deux histoires à frissons, comme Stephen King sait les raconter…

Ça doit bien faire trente ans que ça dure, et la source n’a pas l’air de vouloir se tarir. Après une trentaine de livres, on pourrait croire que Stephen King a déjà exploré toutes les couleurs de la peur humaine. Mais non. Pendant que sur Internet, les fans peuvent télécharger une nouvelle inédite du maestro du frisson, on publie, en version française, un nouveau roman du célébrissime auteur. Deux histoires tirant toujours du côté sombre des choses, mais qui ne sont pas vraiment des récits d’horreur.

Quiconque fréquente suffisamment l’auteur de The Shining sait que, sous le pondeur de best-sellers qui engrange des millions en jouant sur les terreurs archaïques de ses contemporains, se cache un très bon romancier de l’enfance, capable de déterrer les émotions et les frayeurs de l’âge tendre avec de forts accents de vérité. Manifestations surnaturelles, monstres tapis dans le noir, chicanes parentales…
L’ultime exemple en est La petite fille qui aimait Tom Gordon. Trisha, neuf ans, est une enfant précocement mature, qui, depuis le divorce de ses parents, essaie d’empêcher le reste de la famille de se disloquer. Lors d’une excursion sur la piste des Appalaches, lassée par leurs sempiternelles disputes, elle perd de vue sa mère et son frère, un ado râleur, s’écarte du sentier, et s’égare pour de bon dans la dense forêt.
L’aventure durera neuf jours, pendant lesquels Trisha devra se sustenter de baies, et éviter les multiples dangers de la nature sauvage, dont le roman dresse un catalogue quasi exhaustif. La faim, la soif, les insectes – des tonnes d’insectes -, les marécages, la maladie… et une affreuse bête («La chose») qui dépèce les chevreuils et semble épier la fillette sans défense. Monstre ou animal? Lors de ce périple initiatique hors de la civilisation, la petite citadine se découvre une endurance et un courage insoupçonnés.

Grande source d’inspiration pour les écrivains américains, le base-ball sert de métaphore simple et de structure cohérente au roman (Un casse-tête pour le traducteur français qui a choisi, au lieu des termes incompréhensibles que nous assènent généralement ses collègues, de conserver la plupart du vocabulaire anglais: entre deux maux, on choisit le moindre…) Pour garder contact avec le monde, Trisha s’accroche à son walkman, qui lui permet de suivre les exploits de son idole, lanceur des Red Sox de Boston. Tom Gordon finit même par lui apparaître comme une manifestation tangible, un guide…

La petite fille… est une oeuvre assez mineure de l’auteur de l’excellent Sac d’os – publié l’automne dernier -, notamment à cause du caractère plutôt unidimensionnel et linéaire de ce conte, qui repose sur une prémisse unique. Pourtant, le pari est relevé: on s’attache aux pas de la charmante fillette. Ce serait bien le comble que Stephen King ne sache plus créer une histoire ou bâtir un personnage, lui qui sait si bien donner un aspect concret et crédible à ses intrigues – même quand la situation, elle, est loin de l’être.

Riding the Bullet
Un site Internet inaccessible, pris d’assaut par trop de demandes: les ravages informatiques de Mafia Boy? Simplement une marée d’internautes (plus de 500 000 la première semaine, d’après le magazine Time) qui essaient de lire une nouvelle de soixante-sept pages, signée par le King pour la Toile. L’écrivain, qui a déjà livré un roman sous forme de feuilleton à épisodes (The Green Mile) et qui jonglerait maintenant avec l’idée d’en produire un sur le Net, aime manifestement expérimenter de nouvelles formes de diffusion. J’imagine qu’on a besoin de rafraîchir un peu l’expérience de l’édition, quand on est l’un des auteurs les plus lus au monde et que l’on n’a plus rien à prouver…

Stephen King a écrit Riding the Bullet pendant sa convalescence, après qu’une voiture l’eut fauché. Pas surprenant, donc, que le danger y surgisse de la route, et qu’il y soit question de la mort qui rôde et nous attend au tournant. Le narrateur de Riding th Bullet y relate un événement marquant, survenu alors qu’il était étudiant, et qui lui a fait découvrir la dimension cachée, inexplicable qui grouille sous la réalité…

Apprenant que sa mère a eu une attaque et repose à l’hôpital, Alan fait du pouce jusqu’à sa ville natale. Pendant la nuit, après un épisode cauchemardesque dans un cimetière, il est recueilli par un jeune automobiliste dont il se rend compte rapidement qu’il n’appartient plus au monde des vivants… Alan est placé devant un dilemme terrifiant. Il devra choisir qui le conducteur emmènera faire un tour dont on ne revient pas: lui, qui n’a que vingt et un ans, ou sa mère malade, handicapée par des kilos en trop et une vilaine dépendance au tabac, mais qui s’est sacrifiée toute sa vie pour qu’il puisse aller à l’université?

Parfaitement racontée, très simplement mais avec maestria (dans un anglais très accessible), de cette manière directe qu’a King de nous happer dans une histoire, comme s’il nous racontait ça au coin du feu, Riding the Bullet déjoue intelligemment les attentes, privilégiant le coeur au gore.

Cette histoire émouvante, qui nous rappelle que l’auteur de The Shawshank Redemption est un très bon nouvelliste, met en jeu la culpabilité filiale, l’inéluctable de la mort, et le sentiment que la vie est fragile, fugace. Des thèmes qui transcendent, comme souvent chez Stephen King, le simple écrivain d’horreur.
La petite fille qui aimait Tom Gordon
Traduit de l’anglais par François Lasquin,

Éd. Albin Michel, 2000, 331 p.

Riding the Bullet
Scribner / Philtrum Press, 2000, 67 p.

www.stephenking.com
www.amazon.com