Mongo Beti : Le grand retour
Il y a plus de quarante ans, MONGO BETI s’inscrivait dans la lignée des écrivains de la résistance. Après un long exil français et une longue carrière dans l’enseignement, il est de retour dans son pays natal, le Cameroun. Mais le révolté ne s’est pas assagi. De passage à Montréal pour le Salon africain et créole, le romancier nous parle de ses craintes, et de ses convictions.
Si vous voulez entendre parler du dernier roman de Mongo Beti au Cameroun, inutile de synthoniser les radios nationales, ni d’ailleurs de lire les journaux officiels. Il y est persona non grata. L’auteur ne s’en offusque plus: il le dit juste avec un sourire triste.
Petit, les cheveux grisonnants, l’oeil faussement blasé et le regard un rien aigu, Mongo Beti porte robustement ses soixante-huit ans. Depuis 1954, année de parution de son premier roman sous le pseudonyme d’Eza Boto (Ville cruelle, une critique de l’engouement de la jeunesse africaine pour les chimères de la ville), cet homme n’a cessé d’être dérangeant. C’est que ses romans, sous des auvents de l’humour, délivrent de puissantes critiques contre les dérives du continent africain.
Contraint à l’exil, il vivra loin de son pays pendant plus de quarante ans. Agrégé de lettres classiques, il sera enseignant de littérature dans un lycée de Rouen. En 1991, à l’appel de sa mère mourante, Mongo Beti sera finalement autorisé à revenir au Cameroun. Il ne pourra rien faire pour la maman qui partira l’année suivante, mais sera rattrapé par un amour jamais éteint du continent.
Après quarante ans d’absence, certainement que l’Afrique a changé. Et pas nécessairement pour le meilleur. La misère, la surpopulation, la prostitution, la violence conduisent peu à peu les jeunes au désespoir. Mongo Beti, lui, a fondé une librairie des Peuples Noirs à Yaoundé, capitale du Cameroun. Caprice de retraité? Pas du tout, Mongo Beti étant convaincu de la viabilité d’un tel projet. Outre la clientèle fortunée des expatriés, des diplomates ou autres employés d’organisations internationales, Beti sait qu’il y a lieu d’intéresser le Camerounais moyen à la lecture même si le prix du livre est encore maintenant très loin de sa portée. «Il y a ce petit garagiste qui a voulu avoir le gros volume de Samir Amin, ce grand penseur algérien. Pendant des mois, il est venu me faire des paiements, jusqu’à atteindre le montant requis.»
La librairie qui emploie sept permanents et bientôt deux anglophones pour développer la littérature anglaise est l’héritage que Beti veut laisser à l’Afrique, ce continent qui lui est si cher.
Les mots pour le dire
Ce retour au pays a eu une répercussion évidente sur l’écriture de Mongo Beti. «Mon travail en France fut dur, affirme-t-il. Être prof de lycée en Bretagne m’imposait de surveiller mes fréquentations et mon langage. Retraité maintenant, de retour dans mon village natal, j’ai décidé de changer de style. Je me veux moins réaliste, mois compassé. Je n’hésite plus à employer des mots osés qui auraient pu choquer les parents de mes élèves. Je suis totalement libre!»
Mongo Beti ne se contente plus d’«écrire engagé». Il organise la résistance. «J’ai remarqué que quand on se montre récalcitrant, les racketteurs se font alors petits. J’assume aujourd’hui ma réputation de mauvais coucheur et j’organise le refus du laisser-faire dans mon quartier. Cette prise de conscience fait peur à l’État plus que n’importe quel parti politique.»
Les petits gestes qui font la différence, le changement par le bas. Il y a cinquante ans, Mongo Beti allait étudier à Aix-en-Provence. Le jeune, qui n’avait jamais vécu seul auparavant, décida de s’acheter une radio. Il écouta par hasard une émission de jazz qui non seulement le fit tomber sous le charme de cette musique mais lui apprit aussi la révolte des Noirs opprimés des États-Unis. Dont un refus retentissant de Rosa Parks de céder sa place en autobus à un homme blanc. Un petit geste qui donna lieu à un monumental boycott des autobus. Plutôt que les grands discours de nationalisme ou de patriotisme, Mongo Beti préfère un militantisme de proximité, celui des simples citoyens qui refusent dorénavant de se laisser racketter.
Mais le métier de résistant n’est pas une sinécure. Nombreux sont ceux qui l’ont appris tragiquement à leur dépens. Malgré sa peur, Mongo Beti veut penser que sa notoriété, le fait qu’il soit aussi français, les gardes qu’il a engagés et ses chiens suffiront à décourager les velléités d’assassinat!… Mais il sait aussi que quand «ils» voudront, rien ne les arrêtera. Ni les appuis ni la renommée.
Le révolté de tous les temps ne veut pas jouer au héros. Mais il n’acceptera jamais le ralliement au pouvoir dévoyé. D’autres ont eu moins de scrupules.
Branle-bas en noir et blanc
Dans le dernier roman de Mongo Beti, on retrouve les truculents personnages rencontrés dans son précédent ouvrage, Trop de soleil tue l’amour. Eddie, l’avocat marron devenu détective privé, est toujours affligé de l’aventurier français Georges qui est de plus en plus en amour avec Bebête, la disparue mère de son enfant. À la recherche de la jeune femme, les deux collaborateurs se heurteront à toutes sortes de tracasseries, des plus tragiques aux plus bouffonnes: des réseaux de pédophiles, des marabouts qui, en réalité, n’en sont pas, des agents secrets et des policiers véreux . Prétextant cette chasse à l’homme, Mongo Beti s’immisce dans le quotidien du Camerounais, plonge dans les quartiers populaires de la ville, dans les ruelles sans nom et les maisons sans identification, fouille dans les dérives étatiques, dans les abus policiers, pour en déceler et dénoncer les multiples incuries conduisant vers le naufrage du pays. Cela donne une farce monumentale dans laquelle la plume alerte de l’auteur semble se mouvoir avec bonheur. Cette lecture jouissive révèle un peuple fourmillant de vitalité, réinventant au quotidien l’art de vivre et de survivre. Dans un rythme chaloupé rappelant le jazz, musique qui sert de trame à cette poursuite, Mongo Beti laisse un message: le mal d’Afrique n’est plus colonial, il est désormais africain.
Éd. Julliard, 2000, 351 p. (F. B.)