Un jour, nous épouserons Romain Gary : Double vie
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Un jour, nous épouserons Romain Gary : Double vie

Nicole Bélanger s’est fait connaître avec un roman au titre coloré: Salut mon roi mongol!, il y a quelques années, livre plutôt bien accueilli par la critique, même s’il avait eu du mal à trouver un éditeur. C’est encore aux Intouchables que cette scénariste, auteure et directrice artistique en publicité fait paraître son second roman au titre tout aussi original que le premier: Un jour, nous épouserons Romain Gary.

Nicole Bélanger s’est fait connaître avec un roman au titre coloré: Salut mon roi mongol!, il y a quelques années, livre plutôt bien accueilli par la critique, même s’il avait eu du mal à trouver un éditeur. C’est encore aux Intouchables que cette scénariste, auteure et directrice artistique en publicité fait paraître son second roman au titre tout aussi original que le premier: Un jour, nous épouserons Romain Gary.

Tiffany, toute jeune femme, est affligée d’une maman qui n’accepte pas de se voir vieillir. «Plus elle se faisait remonter le visage, il me semblait, moins elle comprenait les choses les plus élémentaires. Sans doute à cause des anesthésies: trois chirurgies faciales en moins de dix ans, sans compter les liposuccions (…).»

L’héroïne pétulante et légèrement névrosée du roman de Nicole Bélanger travaille comme busgirl, puis dans une popote roulante, et héberge dans sa cave un immigrant illégal, Stevo. Sa meilleure amie, Sarah, ne pense qu’à s’envoyer en l’air, mais toutes deux partagent une passion dévorante pour les livres de Romain Gary, thème central (mais voilé) du récit. Préférant la prose riche et réconfortante de Gary au comptoir du Boucan, le bar du coin, elles nourrissent peu à peu des désirs d’évasion.

Mais la vie n’est pas un songe, même quand on lit du Romain Gary pour s’en persuader. Entre cette douloureuse relation que vit Tiffany avec sa mère; l’amour improbable entre elle et Stevo; la détresse de Lady, une jeune punk qui se dissout littéralement à force de tristesse et de drogue; Rudolf, le marxiste-léniniste qui habite l’étage au-dessus; Tiffany commence à étouffer et à chercher une porte de sortie. «Dans cette calme et lucide insomnie, j’appelais le silence d’avant ma venue, le silence d’avant toute chose, celui qu’on ne peut plus entendre. J’aurais voulu me fondre dans le noir (…); partir, disparaître dans la nuit noire, prendre la place d’une étoile suspendue entre le vide et l’immensité avec toute l’éternité pour m’oublier.» C’est à son apprentissage de la vie que nous assistons, amusés par l’insolence de l’héroïne, son ironie, sa sensibilité, et la faune qui l’entoure.

L’écriture de Nicole Bélanger est alerte, humoristique, mais n’évite pas toujours les clichés, surtout dans le choix des niveaux de langage. Si elle mêle langue parlée et langue écrite pour donner un ton réaliste à son roman, l’auteure développe aussi quelques maniérismes comme celui de répéter trop souvent le nom du personnage à qui l’on s’adresse, par exemple.

Les personnages sympathiques, l’action enlevée, le récit bien mené jusqu’à la finale, spectaculaire, donnent au roman une intensité certaine, qu’agrémente une réflexion légère mais présente sur la vie de Romain Gary, qui a «réussi plusieurs vies, mais pas la sienne», et qui s’était amouraché d’une «grande bringue névrosée». Méditation également sur ce que signifie changer de peau, et dont la vie de l’écrivain deux fois «goncourisé» fut sans doute l’un des meilleurs exemples, lui que Sarah et Tiffany lisent avec tant d’appétit. «En désespoir de cause, on allait se mettre à tout relire du début quand, par l’entremise d’un bouquiniste moins affairé que les autres, on a fait la connaissance d’Émile Ajar, le double de Romain Gary, celui qu’il avait inventé pour se fuir. Et ce fut pour moi comme une seconde révélation (…).»

En dépit du sujet du roman, Bélanger se tire d’affaire et ne parodie pas vraiment le style Gary-Ajar. Mais une parenté certaine existe avec les personnages attendrissants qu’elle présente et ceux, bouleversants, de son idole. Ce n’est certainement pas un défaut.

Un jour, nous épouserons Romain Gary
de Nicole Bélanger
Éd. Les Intouchables, 2000, 164 p.