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Benjamin Lebert : Crazy

Crazy raconte l’histoire de Benjamin Lebert, un jeune homme de seize ans à qui la vie n’a pas fait que de beaux cadeaux. Un récit captivant, devenu roman culte en Allemagne auprès des adolescents qui se cherchent une identité.

Quand il arrive pour la première fois à l’internat de Neuseelen, en Bavière, Benjamin Lebert a seize ans et un passé scolaire déjà lourdement chargé de notes «très insuffisantes». Parachuté en milieu d’année dans cette école où les classes sont beaucoup moins nombreuses, par des parents (deux soixante-huitards pleins de bonnes intentions mais constamment en brouille) prêts à mettre le prix pour que leur garçon réussisse ses études, Benjamin doit encore une fois repartir à zéro, s’adapter à une nouvelle école et un nouvel entourage.

En plus d’avoir à réexpliquer à un nouveau public les difficultés que lui vaut son handicap: une hémiplégie spastique («les fonctions de la partie gauche de son corps, et plus particulièrement du bras et de la jambe, sont limitées», écrit sa mère dans une lettre destinée au directeur) qui justifie le surnom de «pied croche» dont l’avaient affublé ses ex-camarades de classe.

Or, à Neuseelen, s’il est le seul infirme, Benjamin n’est pas le seul mésadapté. Le groupe d’adolescents qui l’accueille avec bienveillance est composé de drôles de numéros. Des deux Félix, le gros qui se gave de bonbons et l’autre, toujours prêt à participer aux combines les plus pendables, à Troy, l’énigmatique à la réputation de dur, en passant par Floriant qui ressemble à une fille, et Janosch, avec qui Benjamin partage sa chambre, le meneur, le boss, celui qui, entre autres délits passibles d’expulsion, entraîne la bande dans les couloirs des filles une fois sonné le couvre-feu. Ils sont tous crazy, un état à mi-chemin entre cool et cinglé.

Crazy comme la vie qu’ils veulent parcourir dans toutes les directions, comme les romans de Kafka, comme la musique de Pink Floyd, comme leur projet d’escapade à Munich, où ils feront la rencontre d’un vieux monsieur tout aussi crazy qu’eux. Pour Benjamin, c’est l’année de toutes les premières fois. Première baise, première fugue, premières cuites, première visite dans un bar d’effeuilleuses.

Benjamin Lebert a seze ans et s’il est presque aussi nul en allemand qu’en maths, il n’en a pas moins un don pour la composition. Quand a-t-il trouvé le temps de rédiger la chronique de ces quelque six mois passés à Neuseelen? Sans doute durant les heures d’étude, à en juger par ses piètres performances scolaires. Toujours est-il qu’il y est arrivé. Qu’il a eu l’audace de soumettre son manuscrit à un éditeur. Et que Crazy est devenu en Allemagne, nous dit-on, le livre-culte de toute une génération d’adolescents en mal d’identification, avant d’être traduit et diffusé dans plus de vingt pays. «Une véritable révélation littéraire!» clame-t-on en quatrième de couverture.

Ceux que de semblables affirmations mettent sur les dents commenceront la lecture de Crazy avec une pointe de scepticisme. Mais à mesure que Benjamin poursuit la relation de son quotidien peu banal et que l’on s’habitue (à défaut de l’apprécier) à la traduction très très très française signée Odile Demange («c’est vachement difficile, ce truc (…). En plus, Falkenstein est du genre à vous donner des exos franchement vicelards»), on se laisse gagner par l’histoire de ces garçons qui n’ont franchement pas la vie facile, forcés de jouer les durs, mais qui pleurent sans retenue en lisant ensemble Le Vieil Homme et la mer.

Éd. Nil, 2000, 204 p.