Claire Martin/L'Amour impuni : Une histoire simple
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Claire Martin/L’Amour impuni : Une histoire simple

La Québécoise CLAIRE MARTIN a été journaliste, romancière, nouvelliste, et connut un grand succès avec ses livres autobiographiques, parus dans les années 60. De longues années de silence ne l’ont pas empêchée de publier un nouveau livre cette année: L’Amour impuni, un très beau roman d’amour, loin des clichés et des idées reçues. À la redécouverte.

On ne peut pas dire que Claire Martin ait suivi les modes. À l’époque où le Québec se faisait un devoir d’écrire en joual des fables nationalistes, elle composait en deux tomes, dans le plus pur français, le récit intime et bouleversant de son enfance passée auprès d’un père avare, dominateur et violent, d’une mère qui n’avait que la piété comme refuge, et de frères et soeurs perpétuellement terrorisés.
Une vie de famille à ce point insupportable que, en comparaison, l’ambiance étouffante des couvents, où régnaient pourtant l’hypocrisie et la cruauté, devenait un refuge pour la fillette qu’elle était. Dans un gant de fer, La Joue gauche, et La Joue droite, le second tome, parus en pleine Révolution tranquille, étaient véritablement des romans-chocs. Ce qu’on appelle maintenant, si souvent à tort et à travers, des romans coups-de-poing. Il suffit de les relire aujourd’hui (la Bibliothèque Québécoise s’est chargée de les rééditer en format poche et à petit prix) pour réaliser à quel point cette écriture n’a rien perdu de sa force de frappe.

Pourtant, au sommet de sa gloire littéraire, des prix plein les poches (Prix de la province de Québec 1965 pour Dans un gant de fer; prix France-Québec 1966 et Prix du Gouverneur général 1967 pour La Joue droite), celle que l’on disait de la trempe des Marie-Claire Blais, Alain Grandbois et Gabrielle Roy, décidait de se taire, sûre qu’elle avait extrait de sa vie tout ce qu’elle avait à en écrire. Et se consacra dès lors à la traduction d’oeuvres canadiennes-anglaises.

Un long silence de près de trente ans ponctué de quelques discrets retours – une pièce de théâtre, quelques nouvelles parues çà et là – et entrecoupé d’un séjour d’une dizaine d’années en Provence, où elle a vécu avec son mari, le chimiste Roland Faucher, une vie harmonieuse, avant de revenir s’établir à Québec.

Après un recueil de nouvelles (Toute la vie, L’instant même, 1999), Claire Martin décidait encore une fois, à la veille de ses quare-vingt-six ans, d’aller à contre-courant, ignorant la vague grandissante des récits autobiographiques, pour signer un très court roman racontant une histoire d’amour entre deux hommes. Un tout petit livre à la couverture rigide qui ressemble à ceux que les religieux donnaient, à l’époque, aux élèves studieux à l’occasion des remises de prix de fin d’année.

Bonheur intime
Si l’auteure de Doux-amer, née en avril 1914, «du mariage d’un tigre et d’une colombe» (Dans un gant de fer), écrit toujours avec une parfaite et rare maîtrise du français, avec la même justesse, le même souci de transparence, le même refus de moderniser la langue, elle semble en avoir résolument fini avec le récit du malheur. Ce que raconte L’Amour impuni, c’est l’histoire d’un bonheur presque parfait. Une histoire d’amour d’une désarmante simplicité. Aussi heureuse que l’enfance de l’auteure a pu être malheureuse.

Le narrateur, un géologue que l’on devine dans la quarantaine avancée, est un vieux garçon sans histoires, à la vie méticuleusement rangée. Dans le journal intime qu’il rédige, à temps perdu, il note ses pensées, fait l’éloge de la paresse, parle de l’amour tendre qui unit ses parents, du cocon familial où il se réfugie encore avec plaisir, des menus événements qui ponctuent sa vie.

Entre son travail de bureau, les visites à ses parents qu’il adore, les vacances annuelles qu’il passe toujours seul, il coule des jours tranquilles, sans peine, mais sans passion. Jusqu’à ce que Philippe, un jeune étudiant engagé par son bureau pour travailler pendant le long congé d’été, croise son regard et sa vie. L’homme qui nous raconte son histoire va découvrir l’amour et le bonheur vrai.

Ne cherchez pas de dénouement tragique ni de grands drames dans L’Amour impuni. Pas d’infidélités, ni de jalousies, ni de trahisons. Tout se passe dans la plus parfaite harmonie. Du voyage en amoureux à Niagara jusqu’à la première rencontre enre les membres de la famille du narrateur et l’amant de leur fils.

De la première étreinte jusqu’au moment où Philippe emménage avec son amoureux, il n’y aura pas de querelles, pas de déceptions, pas de doutes. Pas non plus de parents dévastés par l’annonce de l’homosexualité de leur fils. Son père, à qui il confie ses «problèmes de bonheur», est aux antipodes du père de Dans un gant de fer. Compréhensif, bon, aimant. Et clairvoyant.

Tout cela pourrait sembler bien ennuyant, n’est-ce pas? Pourtant, il n’en est rien. Journal intime, mais très pudique, L’Amour impuni a la beauté d’un lac à l’heure où le vent tombe. On s’y retrouve enveloppé comme dans un douillet cocon. Un lieu où tout est calme et reposant, l’exact opposé de l’univers que l’auteure nous faisait découvrir, il y a un quart de siècle.

Au dernier Salon du livre de Québec, on rendait hommage à cette femme qui avait commencé sa carrière sur le tard, à quarante-quatre ans, lui remettant la médaille de l’Académie des lettres du Québec. Que nous réserve le prochain roman de Claire Martin? C’est un secret très bien gardé. Mais on nous assure qu’elle s’est déjà remise à l’écriture, et que l’on n’a qu’à bien se tenir: cette fois encore, nous promet-on, elle va réussir à nous étonner.

L’Amour impuni
par Claire Martin
L’instant même, 2000, 145 p.

Dans un gant de fer
La Joue gauche
Éd. BQ, 1999, 230 p.

La Joue droite
Éd. BQ, 2000, 209 p.