Dictionnaire du rock : A B C d'airs
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Dictionnaire du rock : A B C d’airs

Règle générale, c’est avec un certain scepticisme qu’on accueille les ouvrages français consacrés à des phénomènes purement américains. Mais cet imposant Dictionnaire du rock, publié chez Bouquins par le journaliste et romancier MICHKA ASSAYAS, est tout simplement impeccable. Nous avons joint l’auteur en France.

Ex-collaborateur de Rock et Folk, de Libération et des Inrockuptibles, Michka Assayas a découvert le rock dans les années soixante-dix, par l’entremise de son frère aîné, Olivier (le cinéaste).
Mélomane averti, il est tombé dans Roxy Music et King Crimson à un âge où ses contemporains jouaient encore aux billes dans la cour de récréation; et il dévorait Rock et Folk et le New Musical Express avec le même empressement que ses copains mettaient à lire le dernier numéro de Tintin.
C’est toute cette expérience qui se reflète dans ce livre de référence, peut-être l’ultime ouvrage sur le sujet, toutes langues confondues. Ce Dictionnaire se dévore (pardonnez le cliché) comme un roman d’aventures: chaque notice est truffée de références croisées qui peuvent vous faire remonter le cours de l’histoire, de Green Day aux Sex Pistols à Chuck Berry. «C’est vraiment le plus beau compliment qu’on puisse me faire, lance l’auteur, joint au téléphone à Paris. En fait, ma mission consistait à raconter des histoires; à chercher le parcours humain derrière la musique.»


Pour y arriver, il lui fallait concilier rigueur encyclopédique et approche critique, sans pour autant négliger le côté passionnel propre à tous les fans de rock, critiques y compris. «On ne pouvait renier ce que nous sommes et nos goûts personnels, c’est évident. Mais ce qu’il y a de plus intéressant, c’est que ce livre a été écrit par des gens qui ont maintenant du recul après n’en avoir eu aucun. À l’époque où j’ai commencé à Rock et Folk, la critique de rock était une affaire polémique, une sorte d’extension d’un certain discours politique. Avec ce dictionnaire, j’ai dû relever le défi de parler de groupes que j’ignorais, voire de groupes que je méprisais. Mais je me suis aperçu qu’il était fascinant de raconter l’histoire d’artistes comme Queen, par exemple.»

Ça se discute
Grâce aux articles consacrés aux innombrables sous-genres du rock (celui su le techno, par exemple, est particulièrement réussi), aux labels, et même à certains journalistes, Le Dictionnaire du rock s’affiche comme une véritable encyclopédie de la culture rock.
Outre son incontestable valeur sociologique (chaque grand courant est replacé dans son contexte historique, social et même politique), l’ouvrage pose une question fondamentale: comment (d)écrire le rock? «Toutes proportions gardées, je dirais qu’il a fallu effectuer un travail comparable à ce que Les Cahiers du cinéma ont fait pour le septième art, explique Assayas. D’ailleurs, le terme de "culture rock" n’a pas la même signification pour les Anglo-Saxons que pour les Français. En France, il a fallu mener une véritable bataille pour prouver au grand public qu’il existait une culture rock digne d’intérêt, alors qu’aux États-Unis, cette culture fait partie du quotidien.»
Ce qui nous amène au corollaire du raisonnement précédent: comment (d)écrire le rock en français? Au fil des ans, les critiques hexagonaux ont développé une approche bien distincte de leurs confrères anglais et américains. «C’est vrai, les Français ont un côté à la fois esthète et analytique, et ils ont tendance à accorder beaucoup d’importance à des détails qui sont absolument banals pour les Américains», reconnaît Assayas.
L’approche française nous donne aussi droit à des notices sur des gens comme Dominique A, Yann Tiersen, Antoine, Kat Onoma, et même quelques rares Québécois, dont Robert Charlebois et Voïvod, qui ont aussi droit de cité. Et, bien que plus d’une vingtaine de collaborateurs aient participé à la rédaction de l’ouvrage, on remarque une véritable unité dans la langue, qui ne verse jamais dans les excès de la presse hexagonale. «J’ai essayé d’éviter les anglicismes, quitte à aller contre l’usage. En France, le terme rock critic tombe plus facilement sous la plume que critique de rock, mais avec cet ouvrage, je voulais m’adresser à un public non spécialisé, alors il m’a fallu faire très attention. Je voulais donner les lés de cette musique à un public qui n’a pas beaucoup lu sur le sujet. Ma façon d’écrire sur le rock pour Bouquins n’a rien à voir avec les articles que j’écrivais pour Rock et Folk. À l’époque, j’écrivais d’une manière polémique.»
Malgré son désir d’objectivité, l’ouvrage d’Assayas risque de susciter maints débats animés chez les exégètes. Il va sans dire que certains choix éditoriaux sont éminemment discutables. Que les infâmes Scorpions obtiennent trois colonnes alors que Gil Scott Heron (l’un des pères du rap) n’en a qu’une relève de l’hérésie. La liste des doléances pourrait s’étendre sur plusieurs pages, et chaque lecteur trouvera à redire selon ses goûts personnels. Mais tout fan de rock qui se respecte y trouvera cependant son compte.

Dictionnaire du rock
de Michka Assayas
Éd. Robert Laffont
collection Bouquins, 2000, 2244 p.



La tentation d’interroger l’auteur du Dictionnaire du rock sur son top 10 d’île déserte était trop forte. Voici donc, dans le désordre, les dix incontournables de Michka Assayas.

Beach Boys – Pet Sounds
Odyssey and Oracle – The Zombies
Bob Dylan – Blood on the Tracks
Elvis Costello – King of America
Radiohead – The Bends
Nirvana – Unplugged in New York
Joy Division – Closer
The Beatles – Revolver
Rolling Stones – Aftermath
Love – Forever Changes

Dictionnaire du rock
Dictionnaire du rock
Michka Assayas