Kamel Khélif et Nabile Farès : Les Exilées, histoires
Livres

Kamel Khélif et Nabile Farès : Les Exilées, histoires

Au XIXe siècle, les voyages en Afrique du Nord d’Eugène Delacroix, en mettant à la mode un certain exotisme oriental, devaient changer le visage de la peinture européenne. (…) De nos jours, c’est le neuvième art qui semble avoir développé une affinité spéciale avec cette région du monde, plus particulièrement avec l’Algérie.

Au XIXe siècle, les voyages en Afrique du Nord d’Eugène Delacroix, en mettant à la mode un certain exotisme oriental, devaient changer le visage de la peinture européenne. En plus de sa série de scènes de chasse et de combats de fauves, le Romantique en avait rapporté des sujets humains que l’on compte parmi les chefs-d’oeuvre de cette époque: ses célèbres Femmes d’Alger dans leur appartement, Le Sultan du Maroc, L’Arabe assis.
De nos jours, c’est le neuvième art qui semble avoir développé une affinité spéciale avec cette région du monde, plus particulièrement avec l’Algérie. Dans ses Carnets d’Orient (Casterman), Jacques Ferrandez fait la chronique de ce pays, de la colonisation française jusqu’à la décolonisation. Le magnifique collectif Algérie, la douleur et le mal (BD Boum, 1998) rassemble une dizaine de courts récits politiquement engagés, par des créateurs de diverses origines méditerranéennes (dont Edmond Baudoin et José Muñoz).
Dans chacune de ces oeuvres, recherche picturale et dénonciation sociale sont étroitement liées. C’est que la contrée des djinns, des harems et des sultans est devenue celle des combats de rue, de l’intégrisme, de l’exode et du chômage. Cette douleur toute contemporaine est reprise dans l’album intitulé Les Exilées, histoires, créé par deux Algériens vivant en France et contenant deux récits distincts. Un sentiment d’exil habite les émigrés dans La Légende de Leila Fatma qui a pour cadre Marseille en 1989. Dans La Disparition des mères (Alger, 1968), il atteint celui qui est resté au pays.
Par son ton et son sujet, Exilées est une oeuvre exigeante, loin de la bande dessinée traditionnelle. Le texte de Nabile Farès se rapproche de la poésie, mais aussi de la litanie et du manifeste. Rempli au fusain, multipliant les tons de gris, parfois trop sombre, le dessin de Kamel Khélif crée quant à lui des effets qui rendent la lourdeur, la solitude et la nostalgie d’une culture qui se cherche. À des lieues du regard extérieur et des couleurs vives de Delacroix.
Éd. Amok, collection «Octave», 1999, 68 p.