Chrystine Brouillet : Écrire en série
CHRYSTINE BROUILLET est un véritable bourreau de travail. L’auteure écrit des romans jeunesse et des romans historiques, qui la reposent des sujets sérieux, tragiques, dont elle traite dans ses polars, comme son tout récent, Soins intensifs, où elle aborde une maladie grave et troublante: le syndrome de Müncchausen.
«S’il fallait que je me définisse en un mot, déclare Chrystine Brouillet, je dirais le mot "trop". Je suis "exagérée", je suis impatiente, je trouve toujours les gens trop lents, je ne suis pas capable de décrocher. Je ne pars jamais en vacances; les vacances, je ne connais pas ça.»
C’est qu’elle est un peu bourreau de travail, l’auteure du Collectionneur. «Pas un peu: très!» précise-t-elle. Et ce n’est pas d’hier que celle qui a mis la ville de Québec sur la carte du polar carbure à toute vitesse. Elle a toujours été «pressée de vivre». Depuis 1982, année où elle remportait, pour un roman écrit dans le cadre d’un bac en littérature à l’Université Laval, le prix Robert-Cliche, elle n’a pour ainsi dire jamais mis la clé sous la porte de son bureau. Comme elle a «la chance» d’avoir une capacité de travail inépuisable (un trait de famille, ses deux frères cumulent deux boulots, et ses parents ont «une résistance extraordinaire»), elle est devenue membre du club très sélect des auteurs québécois qui vivent de leur plume.
Question de méthode
Depuis Chère Voisine jusqu’à Soins intensifs, son dernier-né, qui ramène en scène la célèbre Maud Graham, en passant par les livres jeunesse qu’elle rédige entre (et parfois pendant) ses campagnes de promotion, les romans historiques (la trilogie Marie La Flamme) et quelques livres «hors catégorie», comme Les Neuf Vies d’Edward, Chrystine Brouillet pratique l’écriture en artisan, un métier pour lequel elle a développé, au long des années, sa propre méthode.
La méthode Brouillet est simple et efficace. À partir du moment où l’auteure met la main sur un sujet qui la fascine (les tueurs en série dans Le Collectionneur; les pédophiles dans C’est pour mieux t’aimer mon enfant; l’inceste dans Les Fiancées de l’enfer), la machine se met en branle. Elle appelle son recherchiste, collige de la documentation, lit des thèses, des biographies, des entrevues. «Avoir un recherchiste comme Gilles (Lanlois), c’est formidable parce que chaque fois, pour être sûr de bien me comprendre, il va déborder un peu du sujet, m’arriver avec des pistes auxquelles je n’avais pas pensé.» Ensuite, ils font du repérage, sillonnent les lieux où l’action se situera: «On se promène en voiture, j’observe, je me fais une carte géographique, je note tout, systématiquement, dans un cahier-spirale. C’est écrit tout croche, mais je m’y retrouve.»
Ainsi, quand Chrystine Brouillet s’installe devant son ordinateur, le roman est pratiquement écrit. «Je sais ce que je vais écrire dans trois ans, dit-elle, je m’y prends longtemps à l’avance. J’envie les écrivains qui peuvent commencer un roman à partir de rien, qui avancent sans plan, qui écrivent n’importe où. Quelle liberté! Ça doit être formidable! Moi, il faut que je sois dans ma maison, devant mon ordinateur, avec mes notes et mes livres de documentation, je suis vraiment vieille fille pour ça. C’est pour ça que je dis que je n’ai pas de plaisir à écrire. Je trouve ça intéressant, je me trouve extrêmement privilégiée de pouvoir en vivre, je mesure ma chance, mais de là à dire que c’est le fun? Vraiment pas. C’est une lutte. C’est sportif, écrire. Il faut se forger le caractère. C’est comme faire de l’exercice physique.»
Quoi de neuf docteur?
Pour Soins intensifs, qui parle du syndrome de Münchhausen par procuration (syndrôme qui pousse des gens à simuler ou à inventer des maladies à leur enfant, par exemple, pour entrer en relation avec un médecin), Brouillet et son recherchiste ont eu du fil à retordre. «Ç’a été très difficile pour moi d’écrire ce livre. En général, quand j’écris un roman, j’ai beaucoup de documentation et des témoignages. Pour Le Collectionneur, par exemple, j’ai lu plein de biographies et d’entrevues avec des tueurs en série, j’avais du stock.» Mais les cas de syndrome de Münchhausen par procuration sont aussi rares que la documentation qui en traite. Ils ne sont diagnostiqés officiellement que depuis peu, et sont surtout très difficiles à détecter.
«Je crois qu’en moyenne, précise Brouillet, on met quelque chose comme vingt et un mois à identifier avec certitude un cas de Müncchausen par procuration. C’est très délicat. Parce que les femmes qui en sont atteintes réussissent à tromper les médecins. Elles donnent l’impression d’être très inquiètes et d’être prêtes à faire tout ce qu’il faut pour sauver leur enfant. C’est un sujet fascinant, mais très dur. Et bonne chance à tous ceux qui auront envie de reprendre ce thème.»
En bonne perfectionniste, Chrystine Brouillet a donc passé des mois à harceler pédiatres, médecins, infirmières, pour en savoir plus long sur ce syndrome, s’assurer de ne pas commettre d’erreurs, et se familiariser avec le milieu hospitalier. Des collaborateurs et collaboratrices tout à fait consentants à qui elle reconnaît devoir une fière chandelle. «Ce roman-là n’aurait pu être écrit si je n’avais pas été aidée par tout ce monde-là, de l’infirmière qui a relu le manuscrit au docteur Marquis Fortin, que j’ai dérangé je ne sais combien de fois, et à qui je dédie mon livre.»
En attendant le prochain Graham, Chrystine Brouillet rédige un roman jeunesse et travaille aux plans des deux romans qu’elle a en chantier. Un roman sur l’amour («ma recherche est quand même avancée»!) et un roman gastronomique («le plan est déjà fait»). Pour se détendre, elle fait la cuisine. «Je reçois une fois par semaine, dit-elle, j’ai des amis précieux, je suis très bien entourée. Mais c’est vrai que je suis folle de travail. J’en suis consciente. Si je n’écris rien dans ma journée, je me sens coupable, c’est une journée gâchée. J’ai tellement l’impression que la vie va vite! J’ai constamment en tête l’idée que tout peut s’arrêter n’importe quand. Que ce serait effrayant si je n’avais pas profité du temps qui m’était imparti. Le beau côté de tout ça, c’est que je profite vraiment de tout ce qui m’arrive. Quand mon chat Valentin vient dans mon lit le matin, j’en profite pofondément, je suis contente de l’avoir. Quand je vois mes amis, je suis heureuse avant, pendant, après, je suis avec eux, vraiment, je suis toujours consciente que ça pourrait être la dernière fois.»
Soins intensifs
de Chrystine Brouillet
Éd. La courte échelle, coll. 16/96
J’ai ecrit ma propre histoire, j’ai vécu ce syndrome.
Je souhaiterai faire publier mon histoire, c’est très difficile.