Esther Rochon : Voyage au bout des enfers
Avec Sorbier, ESTHER ROCHON offre aux amateurs de science-fiction le sixième et dernier tome de la série des Chroniques infernales. L’auteure primée y livre un message d’espoir, de rédemption et de dépassement de soi, et nous invite dans un monde inventé qui l’habite depuis l’adolescence.
En 1995, avec la publication de Lame, le premier tome des Chroniques infernales, Esther Rochon nous a fait pénétrer dans son univers particulier, composé de différents enfers qui sont en fait des «mondes». Un endroit où les êtres expient les péchés de leur vie précédente. À travers cette série de six tomes, l’auteure, qui a remporté à quatre reprises le Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois (L’Épuisement du soleil, en 1986; Coquillage, en 1987; L’Espace du diamant, en 1991; et Or, en 1999), a vu également plusieurs de ses romans traduits en anglais, en allemand et en hollandais.
En fait, pas besoin d’avoir lu toutes les Chroniques infernales pour pénétrer dans Sorbier, puisque chaque épisode est expliqué au début du récit. La série des Chroniques se déroule dans plusieurs mondes différents liés entre eux par des couloirs «temporels» (Ougris, Vrénalik, les Enfers, et même Montréal). Dans Sorbier, dernier épisode de la série, trois histoires sont racontées en même temps, mettant en vedette Rel, roi des Enfers, Lame, compagne de Rel, et Sutherland, conseiller de ce dernier. Les deux hommes sont rejetés de leur monde, et leur survie est en jeu. C’est à travers cette déchéance que les héros trouveront la force de surmonter les échecs passés et les épreuves à venir.
Toujours plus fort
L’espoir, la rédemption et le dépassement de soi sont très présents tout au long de Sorbier, pour deux raisons. «J’ai toujours aimé les histoires qui finissent bien, explique Esther Rochon. Mais aussi, j’estime que c’est une politesse envers le lecteur que de ne pas le laisser dans une situation désagréable.» Cela dit, il ne s’agit pas d’une fin «arrangée», mais plutôt d’une progression naturelle du récit. De plus, par l’entremise de Sorbier, l’auteure veut transmettre un message. «Je veux faire comprendre que toute situation n’est jamais désespérée, qu’il est possible de travailler avec tout ce qui se présnte.» Dans le roman, ce message, fortement inspiré par la religion bouddhiste, que l’auteure pratique depuis une trentaine d’années, est incarné par le personnage de Rel. «Il est l’altruiste, celui qui veut aider les autres, qui veut améliorer le monde. Ça, c’est tout à fait dans la lignée bouddhiste: être là pour les gens, ne pas se laisser décourager par ses propres erreurs et par les difficultés. En fait, c’est plus l’état d’esprit que le résultat qui compte.»
Ecriture en devenir
Cette expérience, Esther Rochon l’a vécue de près. En 1999, son fils Olivier, atteint de schizophrénie, s’est suicidé, événement qu’elle accepte de partager aujourd’hui. Or, son roman précédent, est d’ailleurs dédié à son enfant disparu. Pour Rochon, la mort de son fils n’est pas négative: elle s’est plutôt transfigurée en une renaissance, thème qui est au coeur de son roman. «Je me souviens, quand mon fils est mort, j’ai dit à une amie: tu sais que je ne vis pas uniquement pour mes enfants et que je ne vais pas être démolie. Pour moi, c’était une évidence, même si elle est bien triste. Je n’avais rien à prouver avec Sorbier, mais je crois qu’il s’agit d’un mouvement normal: dans la vie, on vit une série d’épreuves et puis, tout à coup, quelque chose d’autre survient.» Visiblement, pour Esther Rochon, ce mouvement n’est pas terminé. «Je suis même curieuse de voir comment cela va ressortir dans l’écriture, car les expériences que l’on traverse se retrouvent toujours quelque part dans nos livres.»
Même si Sorbier semble signifier la fin des aventures de Rel, de Lame et de Sutherland, le récit donne l’impression d’un nouveau départ. «En effet, la conclusion suggère plusieurs nouvelles directions possibles, déclare Esther Rochon. Par contre, ça ne sera plus axé sur les mondes infernaux que j’ai développés dans les six tomes de la série. L’avenir nous dira si Sorbier est un point final ou un point d’orgue.»
Et effectivement, tout au long de la lecture, on a également le sentiment que lavie des personnages créés en 1995 menait à cette conclusion logique, et qu’il n’y avait pas d’autres fins envisageables: la fin du monde, parmi les grands thèmes de la cosmologie bouddhiste, n’est-elle pas au coeur de cette grande saga?
Pourtant, il fut une période où Rochon ne trouvait plus d’issue aux Chroniques infernales. «Ça n’a pas été facile d’en arriver là, avoue-t-elle. Il y a à peu près un an, j’étais en panne d’écriture. Je savais que je voulais construire un lien avec le passé. Je suis restée en plan pendant un long moment, me demandant comment j’allais continuer. Finalement, quand tout s’est mis en place, j’étais vraiment impressionnée! Quand j’invente quelque chose, je dois attendre que les idées se mettent en place. C’est beaucoup plus une question de regarder ce qui est là, que d’inventer.»
Naître de ses rêves
Et il y avait en effet beaucoup de choses à «regarder» car, si Les Chroniques infernales sont officiellement nées avec la parution de Lame, le monde de Vrénalik et les Enfers habitent l’auteure depuis l’adolescence. «J’ai commencé à inventer des histoires vers l’âge de trois ou quatre ans, mais c’est vers quatorze ou quinze ans que je me suis mise à l’écriture.» C’est à cette époque qu’est né Vrénalik, à travers des cartes et des dessins que l’auteure inventait. «Comme adolescente, j’avais envie de créer un monde utopique dans lequel je me sentirais bien et où tout irait bien dans la société.» Puis sont venus les Enfers. «Je les ai créés parce qu’il y avait une sorte de disjonction dans ma pensée. Une partie de moi n’était pas heureuse; l’autre, oui. Toute cette négativité, ce ressentiment qui s’accumulaient en moi depuis que j’étais jeune n’étaient peut-être plus présents à ce moment-là, mais il m’en restait des souvenirs, et c’est avec eux que j’ai créé les mondes infernaux.»
Les Enfers sont aussi nés des rêves, qui inspirent beaucoup Rochon. «C’est difficile de m’enthousiasmer pour quelque chose et d’avoir des idées, c’est pourquoi j’aipiqué ce concept à l’un des auteurs m’ayant le plus influencée, H. P. Lovecraft. Ainsi, pour m’inspirer, je me sers de mes rêves qui contiennent des images vraiment frappantes et qui possèdent le potentiel nécessaire au développement d’un récit. C’est ma façon d’écrire des histoires personnelles.»
Sorbier, d’Esther Rochon
Éd. Alire, 2000, 417 p.