Histoires de Lisbonne : Tableau vivant
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Histoires de Lisbonne : Tableau vivant

La bande dessinée a parfois le tour de nous faire voir la vie autrement. C’est le cas de cette Histoire de Lisbonne, véritable fresque qui nous invite à un formidable voyage dans le temps.

Pour rendre hommage et initier le lecteur à cette ville fascinante qu’est Lisbonne, «à la fois mythe et réalité, coeur et frontière de l’Europe», l’historien portugais A. H. de Oliveira Marques ne pouvait trouver idée plus brillante que de faire appel au médium de la bande dessinée, s’associant à l’illustrateur de talent et son compatriote Filipe Abranches. Leur Histoire de Lisbonne, dont la première de deux parties vient de paraître en français aux éditions Amok, est une des belles surprises de l’été.

De la conquête romaine de la péninsule Ibérique au Ier siècle av. J.-C., au cours de laquelle la ville reçut son premier statut de municipalité, à la Lisbonne espagnole de 1580, qui durera 60 ans, en passant par l’occupation arabe et la découverte du Brésil, Oliveira Marques présente dans ce tome les quinze premiers siècles des annales de la cité, faisant alterner anecdotes et événements historiques majeurs, mettant en scène tant ses grands personnages que les modestes gens du peuple.

Au fil de ses occupations (romaine, barbare, musulmane, espagnole), de ses libérations et de ses révolutions successives, c’est une Lisbonne mouvante, multiple et métissée que nous peignent les auteurs. Une Lisbonne marquée par la passion. Passion des conquêtes amoureuses, la vogue de l’amour courtois de la fin du XIIIe siècle ayant atteint le roi Dom Dinis (1279-1325), qui écrivait des poèmes à toutes les dames, au grand désespoir de la reine, alors que le roi Dom Fernando épousera la belle Dona Leonor Teles, déjà mariée et qui, devenue Régente, portera fort légèrement le deuil. Mais aussi passion de découvertes et de territoires: les Îles Canaries, l’Orient, le continent sud-américain. Sans oublier une quête d’exotisme qui poussa Dom Manuel à se procurer un rhinocéros, «venu d’Inde», afin d’en faire présent au pape.

Si le scénario d’Oliveira Marques est habile malgré la rapidité du survol, le génie graphique de Filipe Abrnches demeure le principal intérêt du livre. Aquarelle et encre de Chine, le dessin évolue au fil de la chronologie, rappelant subtilement les techniques picturales des périodes représentées, de la mosaïque romaine à la tapisserie médiévale. On y retrouve également des clins d’oeil à des illustrations célèbres telles que le Don Quichotte de Pablo Picasso ou le dessin d’Albrecht Dürer représentant le rhinocéros déambulant sur la place Terreiro do Paço en 1513. Le chapitre consacré à la « peste noire », de 1348-1349, est composé sur deux planches de cette couleur avec des cases au fond rouge, ce qui offre un contraste, une rupture par rapport au reste de l’oeuvre, marquant l’arrêt, voire un recul dans l’histoire d’un peuple endeuillé. L’histoire comme on ne la jamais lue.

Histoire de Lisbonne (volume 1: Ier siècle 1580)
d ‘A. H. de Oliveira Marques et Filipe Abranches
Trad. du portugais par Guida Marques,
Éd. Amok, 2000, 78 p.