Martine Beaulne/Festival de Trois : Les grands mots
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Martine Beaulne/Festival de Trois : Les grands mots

La littérature entretient des liens privilégiés avec le théâtre, puisque les mots sont généralement sa matière première. La metteure en scène Martine Beaulne signe des mises en lecture au Festival de Trois, qui fête ses dix ans cet été. Elle nous parle de son rapport au texte, à la parole.

Le Festival de Trois rassemble annuellement, en plein désert culturel du mois d’août, dans la banlieue lavalloise, des centaines de fidèles autour de la littérature. La metteure en scène Martine Beaulne y participe pour la troisième fois, la seconde de suite, s’apprêtant à diriger un programme double, le 14 août. «L’an dernier, il y avait une écoute magnifique, se souvient-elle. Ce sont des amoureux de la littérature, et d’une certaine parole.»
Un public qui aime sans doute découvrir des textes méconnus. Le 14 août, la directrice artistique Béatrice Picard a ainsi mis au programme une brève pièce de Marie Savard (surtout connue pour ses chansons, dans les années 70), Bien à moi, complétée par L’Amour de Mati, une pièce radiophonique de Madeleine Gagnon. Une auteure que Martine Beaulne elle-même a découverte avec bonheur.

Créée vers 1993, L’Amour de Mati montre un trio de personnages qui s’écrivent sur fond de guerre, «cherchant l’amour et l’harmonie dans des terres différentes»: une jeune fille enceinte (Dominique Lamy) qui vient de perdre son mari, et une femme (Nathalie Gascon) qui attend le sien (Carl Béchard, dans un rôle sobre…), expatrié sillonnant la planète et s’interrogeant sur l’avenir de son pays, de l’humanité. «C’est un beau texte poétique et politique sur toutes les guerres actuelles, où les gens sont séparés, exilés, et essaient de comprendre. Une correspondance amicale et amoureuse.»

Le poids des mots
Créée à la radio par Dyne Mousseau, puis au Quat’Sous en 1970, Bien à moi expose plutôt «la guerre d’une femme par rapport à elle-même». De sa voix au si beau timbre, Marie-France Marcotte véhiculera toutes les variations de ce soliloque que la comédienne a comparé à «du Gauvreau féminin».
«J’ai très hâte de mettre la pièce en lecture, parce que j’ai l’impression qu’elle va mieux passer que dans les années 70, avance Martine Beaulne. C’est un texte qui était avant-gardiste, sur l’identité d’une quadragénaire qui se demande pourquoi elleest vue seulement comme une mère (rires). C’est une espèce de réquisitoire, mais avec beaucoup d’humour, de sensibilité et d’intelligence, sur le statut de la femme de quarante ans, qui veut être aimée pour ce qu’elle est, et avoir une sexualité intéressante, ce que son entourage ne permet pas. À la création, peut-être que cette parole était trop provocatrice, mais aujourd’hui, elle est très juste.»

Ces deux textes, qui proposent un double questionnement sur l’identité des femmes, l’un à un niveau individuel et social, et l’autre à travers un contexte politique, se prêtent idéalement à cette forme particulière qu’est la mise en lecture: une théâtralisation de l’oeuvre, mais pas trop poussée, qui offre une mise en contexte et une atmosphère au texte, tout en accordant la prépondérance à la parole. «Je crois que la force de ces textes-là, c’est l’évocation. Il n’y aurait peut-être pas assez d’enjeux dramatiques pour soutenir une représentation théâtrale. Peut-être que ce sont des textes plus radiophoniques, finalement. Les mots y constituent les enjeux principaux. C’est un plaisir d’écoute.»

Musique du texte
À l’inverse, tous les textes ne conviennent pas au genre, pense Martine Beaulne. «Faire une mise en lecture dramatisée d’un texte poétique, ça va très bien. Je pense que c’est là que peut se jouer le rapprochement entre le théâtre et la littérature. Mais un roman, je ne suis pas sûre que ce serait intéressant de le lire sur scène, parce qu’il a son propre pouvoir d’évocation et qu’il y a quelque chose d’intime dans le rapport du lecteur avec un livre. Il faut que le texte ait une structure, à mon avis, pour être lu à haute voix. Il y a des textes qui sont presque de la musique contemporaine; d’autres, du classique, ou du folk (rires). Dans une mise en lecture, on est dans un rapport auditif. On se rapproche plus de la musique, mais avec des mots.»
Et les mots constituent la première nourriture de la metteure en scène. «Pour moi, c’est le plus important. J’essaie toujours de voir pourquoi ce mots-là ont jailli de la bouche de l’auteur. C’est ce qui m’intéresse, au fond: la genèse, le souffle, qui vient souvent d’une nécessité de dire quelque chose. C’est le désir de l’artiste qui m’intéresse. C’est ce que j’essaie de connaître chaque fois que je monte une pièce. Après ça, il y a le mot, et son sens, et l’architecture dans laquelle il est placé.»

Martine Beaulne n’est pas la seule femme de théâtre à avoir noué de solides liens avec le Festival de Trois. Le 21 août, ce sera au tour de France Castel de signer une mise en lecture: Geste, un texte de la fondatrice du Festival, Anne-Marie Alonzo, qui sera porté par Sophie Faucher et Catherine Bégin – ainsi que par l’agile violoncelle de Claude Lamothe. Sous la houlette de la metteure en scène Lorraine Pintal, qui dirigera Benoît Gouin et Brigitte Paquette, la dernière soirée du Festival, le 28, sera consacrée à Madeleine Ferron.

Les 14, 21 et 28 août
À la Maison des Arts de Laval
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