Inédits de Jack Kerouac : Dernières nouvelles de Kerouac
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Inédits de Jack Kerouac : Dernières nouvelles de Kerouac

La sortie de trois inédits de JACK KEROUAC remet l’écrivain franco-américain à l’avant-scène. Book of Blues, Dharma et ses Lettres choisies révèlent un véritable homme de lettres, bien plus qu’un simple représentant de la beat generation.

Jack Kerouac: le nom sonne comme lorsqu’on claque des doigts sur le beat d’un orchestre de jazz. Pour beaucoup, il ne serait rien de plus que le papy des hippies: il avait déjà 46 ans lorsque le flower power a déferlé sur San Franciso; il devait mourir l’année suivante, le 21 octobre 1969.

Mais Kerouac est bien plus qu’un cri de ralliement pour baby-boomers nostalgiques: il est sans doute l’un des écrivains les plus importants de ce siècle. La publication, cet été, des traductions de trois ouvrages inédits, nous offre de quoi nous en convaincre.
On s’imagine généralement que Kerouac écrivait en puisant les mots à même son existence pour les aligner sur la page sans jamais se préoccuper vraiment de questions proprement littéraires. La traduction de ses Lettres choisies, 1940-1956 (premier de deux volumes, dont le second, couvrant les années 1957-1969, est déjà paru en anglais) permet de découvrir que si Kerouac savait improviser avec génie, c’était parce qu’il ne cessait jamais de travailler son instrument: le langage.

Ce recueil rassemble plus de 175 lettres rédigées par Kerouac avant qu’il ne connaisse la célébrité avec la parution de Sur la route, en 1957. On y découvre ses premières discussions débridées avec les figures de proue de la beat generation: Allen Ginsberg, William Burroughs et, surtout, Neal Cassady, coureur de jupons invétéré, grand adepte du «dérèglement de tous les sens» cher à Rimbaud, et avec lequel la beat generation attaquera de front le conformisme où sombrait la société états-unienne de l’après-guerre.

Mais ces Lettres choisies font surtout découvrir un jeune écrivain préoccupé par l’idée de faire une littérature qui soit tout à fait de son temps. «Nous vivons exactement au bon moment», écrit Kerouac en septembre 1947. Et au fil des pages, on voit comment il découvre graduellement sa voie et, surtout, sa voix, celle qui saura être l’écho de son époque: la prose spontanée, qu’il décrit, en octobre 154, comme «une nouvelle prose, la Prose Moderne, comme du jazz, rapide à couper le souffle, avec des flux spontanés et non révisés…»

Selon la légende qu’il a lui-même contribué à répandre, Kerouac aurait écrit Sur la route en trois semaines, d’un seul jet. Les Lettres choisies permettent de constater qu’il a cependant travaillé pendant des années sur son bouquin, cela à la manière des musiciens de jazz qui, en studio, reprennent sans cesse le même morceau jusqu’à ce qu’ils réalisent enfin la «bonne take»!

Langue vivante
Ses Lettres choisies contient également de nombreuses pages dans lesquelles Kerouac parle de son rapport à sa langue maternelle, le français, et des avantages qu’il trouvait à écrire en anglais: un idiome qu’il n’a jamais cessé de considérer comme étranger. Ainsi qu’il l’explique en septembre 1950 à Yvonne Le Maître (une journaliste de Lowell, où Kerouac est né au sein d’une communauté franco-américaine): « À 21 ans, j’étais encore assez maladroit et il y avait dans ce que je disais et écrivais une résonance illettrée. Quelle confusion! La raison pour laquelle je manipule si facilement les mots anglais réside dans le fait que ce n’est pas ma propre langue. Je l’ai remodelée pour l’adapter à des images françaises.»
Kerouac a malgré tout émaillé la plupart de ses écrits de nombreuses phrases rédigées dans sa langue maternelle. «Nous autres aussi on a une / belle langue qui clacke», peut-on d’ailleurs lire en français dans Book of Blues: un recueil de poèmes qu’on a retrouvé après la mort de Kerouac dans ses archives, et que les éditeurs français ont eu l’excellente idée de faire paraître dans une édition bilingue. Présentés sous l’appellation de «chorus», afin de souligner ce qui les lie aux principes du jazz, ces poèmes sont des perles de spontanéité: « L’étoile se reflète dans la flaque / et l’étoile s’en fiche / et la flaque s’en fiche / Rien ne pense / pas même le poète des flaques ».

On aura perçu dans ces lignes, un écho de haïku et de pensée zen. Grâce à la publication de Dharma, un énorme recueil de récits, de commentaires et de pensées («Tout est conditionnel et bavardage»…) directement inspirés de ses lectures bouddhistes, on peut se faire une idée de l’importance que la découverte des religions orientales a pu avoir pour Kerouac.

Signalons que ces trois ouvrages ont été admirablement traduits par Pierre Guglielmina. On doit cependant chicaner les éditeurs français des Lettres choisies pour avoir omis d’y inclure les commentaires de la compilatrice du recueil, Ann Charters. Dans l’édition anglaise du bouquin, la plupart des lettres sont en effet accompagnées d’annotations fournissant un lot d’informations biographiques des plus éclairantes.

La traduction (par Marianne Véron) de Sur ma route, de Carolyn Cassady, est par contre nettement moins réussie. Rédigé par la principale des nombreuses compagnes de Neal Cassady (ce qui ne l’empêchera d’être pour un temps la maîtresse de Kerouac), le livre présente le revers de la médaille de la beat generation. Pendant que les gars se lançaient dans leur quête d’absolu, les filles restaient derrière à faire le ménage en les attendant, et à torcher les enfants que ces éternels adolescents semaient çà et là le long de leur route…
Jack Kerouac a sans doute plus ou moins raté sa vie, mais il a réussi un bon paquet de bouquins: ce qui, réalise-t-on à la lecture de ses Lettres choisies, était le but qu’il s’était donné. Il voulait avant toute chose écrire des livres qui lui survivraient, et il a réussi; cela en inventant le moyen de mettre en mots ce que les jazzmen mettent en musique. Près de quarante ans après sa mort, on lit les ouvrages de Jack Kerouac pour la même raison qu’on écoute encore Charlie Parker, Miles Davis, Charles Mingus et John Coltrane: parce que (pour paraphraser Nietzsche qui écrivait en son temps que «Sans la musique, la vie serait une erreur») sans le jazz, le vingtième siècle ne vaudrait peut-êtr pas tellement qu’on s’en souvienne…

Lettres choisies, 1940-1956
par Jack Kerouac
Éd. Gallimard, coll. Du monde entier, 2000, 579 p.

Book of Blues (édition bilingue)
par Jack Kerouac
Éd. Denoël & d’ailleurs, 2000, 284 p.

Dharma
par Jack Kerouac
Éd. Fayard, 421 p.

Sur ma route
Ma vie avec Neal Cassady, Jack Kerouac,
Allen Ginsberg et les autres…
par Carolyn Cassady
Éd. Denoël & d’ailleurs, 2000, 556 p.

Lettres choisies, 1940-1956
Lettres choisies, 1940-1956
Jack Kerouac