Où sont les enfants? : L'été meurtrier
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Où sont les enfants? : L’été meurtrier

On qualifie déjà Simona Vinci de Marguerite Duras italienne. Elle vient tout juste de franchir le cap de la trentaine et a publié un premier roman coup-de-poing : Où sont les enfants? Lors de sa parution, il y a trois ans, en Italie, il a causé une véritable commotion. Bienvenue dans l’enfer de  l’enfance.

Simona Vinci

, dans une entrevue accordée à Libération en juin dernier, avouait ne pas vouloir d’enfants. Même si elle a publié une série de livres jeunesse mettant en scène une héroïne de seize ans, justicière adepte de kick-boxing, dont la première aventure, Cours Mathilda!, a été traduite en français et publiée chez Hachette. Même si les personnages de son troublant roman ont entre dix et quatorze ans. Peut-être la détresse de l’enfance l’inquiète-t-elle trop…

Simona Vinci n’a pas peur des comparaisons. Le titre italien de son livre, Dei bambini non si sa niente – en traduction littérale, «Les enfants, on ne sait rien» -, est extrait d’une citation tirée de La Pluie d’été, de la même Marguerite Duras, placée en exergue de l’édition française. Son écriture minimaliste explore le manichéisme du plaisir et de la douleur, plutôt que celui du Bien et du Mal, sans chichis ni prêchi-prêcha.

Simona Vinci ne peut être confinée à un seul genre. Même si Gallimard nous la propose dans sa collection Noire, d’obédience polar, son roman ne respecte aucun paramètre du genre. Ce qui ne l’empêche pas d’explorer, avec une lucidité assassine, la dérive cauchemardesque d’une petite bande d’enfants-ados en vacances.

C’est l’été; l’école est finie. L’Italie rurale, innocente, baigne dans la luminosité de ses champs dorés, de ses ciels bleus et de son soleil interminablement radieux. Avec les beaux jours vient le désoeuvrement des enfants, laissés à eux-mêmes, condamnés à découvrir comment on tue le temps, et l’ennui, son meilleur ami.

Trois garçons, Mirko, le chef, Luca, son second, et Matteo, le benjamin, squattent une cabane à l’abandon, à l’écart du village. La scène du théâtre où ils interprètent leurs expériences initiatiques masculines. Mais l’absence de femmes viendra bien vite titiller leur virilité naissante. Nos bons machos en herbe jetteront leur juvénile dévolu sur Martina et Greta, deux fillettes de dix ans, dont le privilège suprême sera d’avoir acès à la très exclusive clandestinité de leur repaire. «Un endroit où le regard des pères et mères, leur autorité et même leur amour n’entraient pas.»

Ensemble, tous les cinq, ils exploreront la zone nébuleuse qui embrouille, puberté oblige, le passage obscur de l’enfance à l’adolescence. À l’abri des adultes, dans leur cabane. «Cette chose à la fois tendre et dure, un peu poisseuse et très chaude, lui avait paru à la fois inconnue et familière. Comme si elle l’avait connue dans le passé et oubliée. Aussitôt, sa main s’était mise à faire des va-et-vient sur la peau douce, sans effort, presque sans avoir à y penser. Comme s’il s’agissait de quelque chose à elle, d’une partie de son corps dont elle eût oublié pendant un temps l’existence.»

Le mal de vivre
Un des talents de Vinci est de savoir créer une atmosphère ambiguë, un climat où règne en maître le malaise. En commençant par la fin, le roman nous présente d’entrée de jeu le désarroi de jeunes enfants devenus vieux prématurément. Le récit, qui se déroule au milieu des années 90, avec une bande sonore grunge à la Soundgarden mixée avec du techno, viendra ensuite éclairer le pourquoi du comment.

On plonge dans ce roman comme on revisite les premiers épisodes d’attouchements sexuels de notre enfance. On se surprend à constater que les séances de touche-pipi ont une dimension universelle, qui transcende les époques et les frontières. Jusque-là, tout va bien. Mais on assistera ensuite, impuissant, au dérapage incontrôlé de la violence. À chaque visite, Mirko arrive avec un petit sac en plastique qui contient des revues pornos, des cordelettes, des bougies, des bâillons, objets des jeux bizarres du quintette. Au fil des jours, on passera du soft au hardcore, du fantasme à l’acte.

Les adultes qui hantent ce roman – parents des enfants, grand frère, grande soeur, institutrice, en plus de l’homme louche qui refile des sacs à Mirko – planent comme des ombres. Bien qu’ils soient la source du mal, ils n’en seront jaais les exécutants. Même si le spectre de la pédophilie flotte autour de notre petite bande, l’auteur ne sombre pas dans la facilité. Pas besoin de vieux pervers qui déboulent comme des chiens dans un bowling; les enfants se suffisent à eux-mêmes.

Difficile d’expliquer rationnellement pourquoi ce roman perturbe autant. Rarement la cruauté et l’innocence, légendaires, des enfants n’auront été exprimées de façon aussi sensuelle et désespérée. Simona Vinci ne veut pas d’enfants. Peut-être parce qu’elle porte en elle leurs voix… Déchirant.

Où sont les enfants?
Éd. Gallimard / La Noire
2000, 171 p.