Roman policier français : Elles écrivent au meurtre
Andréa H. Japp et Brigitte Aubert figurent parmi les plumes les plus productives du roman policier français. L’une avec un grand talent, l’autre moins.
La jeune quarantaine, diplômée en toxicologie, Andrea H. Japp est cette Française qui a remporté, pour son premier polar (La Bostonienne, 1991), le Prix du roman policier du Festival de Cognac, et le Masque de l’année 1996 pour La Femelle de l’espèce. Signe distinctif: elle écrit en français des romans qui ont pour cadre la ville de Boston. Pas d’inspecteurs qui se rapportent au Quai des Orfèvres, mais des agents très spéciaux basés à Quantico. Et pour le lecteur, l’heureuse impression de lire un polar américain où pour une fois les cents ne se convertissent pas en centimes.
Dans Le Silence des survivants, son quatorzième titre, l’auteure a délaissé son héroïne mathématicienne, la très cérébrale Gloria Parker-Simmons (Dans l’oeil de l’ange; La Raison des femmes), pour donner le premier rôle à une jeune mère au passé lourd de souffrances: Sok Bopah, une Cambodgienne qui a miraculeusement survécu aux tortures des Khmers rouges. Mariée à un polonais, mère de deux enfants, elle a refait sa vie en banlieue de Boston. Elle se nomme désormais Isabel Kaplan, et vue de l’extérieur, c’est une mère modèle. Mais derrière les apparences, elle cache un coeur endurci, aimant mais rigide, marqué par les sévices innommables qu’elle a subis. Une femme obsédée par sa recherche de sécurité, qui tient scrupuleusement le compte de ses provisions. Son fils est parti étudier à Boston, sa fille Samantha virevolte gaiement, entourée de l’amour de son grand-père que la famille héberge, et de son père qui l’adule. Et puis un jour le sol se dérobe. La jolie Samantha est sauvagement assassinée par un sadique. Isabel Kaplan redevient Sok Bopah. Et avec la complicité de son beau-père, qui a, lui, survécu aux camps nazis, elle va tenter de mettre la main sur le meurtrier.
Si, au bout du compte, comme dans tout polar qui se respecte, le mystère est éclairci et le meurtrier, retrouvé, les questions philosophiques que l’auteure a soulevées ne seront pas résolues. Peut-on échapper à son passé? Le mal est-il génétiquement tansmissible? L’horreur engendre-t-elle des monstres? Et Dieu existe-t-il?
Comparé à ce lourd mais très éloquent Silence des survivants, La Mort des neiges, de la Française Brigitte Aubert, nous paraît incroyablement bavard et superficiel. Suite (et fin?) de La Mort des bois, ce polar ramène sur scène l’étonnante Élise Andrioli, qui élucidait, dans le précédent roman, une série de meurtres d’enfants, et qui décidait, après avoir échappé à la mort, de vendre son histoire à une écrivaine du nom de Brigitte Aubert…
Subterfuge ingénieux, sans être neuf, qui permettait à l’auteure de donner à son roman une piquante saveur de fait vécu. Après cette intrigue qui avait failli coûter la vie à son héroïne (elle est désormais muette, aveugle, paraplégique, confinée à son fauteuil roulant), Aubert aurait pu en rester là. Mais elle a décidé de ramener son Élise sur la scène de nouveaux crimes. En l’envoyant passer quelque temps à la neige, histoire de lui redonner des couleurs. Or, aussitôt Élise installée en montagne, sur la terrasse du Chalet Canadien, un plaid bien chaud sur les genoux, les mésaventures commencent. Meurtres en série, colis
morbides adressés à la pauvre Élise, imbroglios, mobilisation de la police du coin (une bande d’amateurs), enquête entravée par une tempête de neige, rien ne va plus.
Problème numéro un: la narration à la première personne. Tout ce qui passe par la tête de l’héroïne est retranscrit au présent, ce qui donne une lecture statique et monotone, du genre: «Un grondement sourd, profond, terrifiant. Est-ce lui? Un écho dans mon dos, un cri étranglé (…) je cogne dans quelque chose par terre, le grondement s’accentue, un chien, c’est un chien!»
Problème numéro deux: la vraisemblance. Autant Andrea H. Japp met toute son énergie à rendre son histoire crédible, autant Brigitte Aubert semble ne pas s’en soucier. Combien de fois l’héroïne est-elle la cible d’un agresseur posté de l’autre côté de la feêtre? Assez souvent pour que vous vous demandiez pourquoi diable n’évite-t-elle tout simplement pas les abords des fenêtres grandes ouvertes! Quant au dénouement final, on ne commettra pas le crime de le révéler à l’éventuel lecteur. Disons seulement (délit mineur) que le tout vire au rocambolesque pur et simple. Dans le ciel noir du polar, Andrea H. Japp et Brigitte Aubert sont aux antipodes. Si la première manque d’humour, l’autre manque résolument de sérieux. Au lecteur de choisir son camp.
Le Silence des survivants
d’Andrea H. Japp
Éd. du Masque, 2000, 302 p.
La Mort des neiges
de Brigitte Aubert
Éd. Seuil Policier, 2000, 290 p.