Sergio Kokis : Saltimbanques
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Sergio Kokis : Saltimbanques

On appréciera que Sergio Kokis veuille entraîner son lecteur dans une nouvelle aventure tragique et fascinante; un monde grouillant de survivants, où l’auteur poursuit ses réflexions sur l’art du masque et du déguisement telles qu’il les a approfondies ailleurs (L’Art du maquillage, 1997); mais sans doute devra-t-on attendre la suite de la trilogie qu’il amorce avec Saltimbanques pour se plaire cette fois à l’y suivre.

On appréciera que Sergio Kokis veuille entraîner son lecteur dans une nouvelle aventure tragique et fascinante; un monde grouillant de survivants, où l’auteur poursuit ses réflexions sur l’art du masque et du déguisement telles qu’il les a approfondies ailleurs (L’Art du maquillage, 1997); mais sans doute devra-t-on attendre la suite de la trilogie qu’il amorce avec Saltimbanques pour se plaire cette fois à l’y suivre. Non pas que les sujets d’intérêt manquent dans ce nouveau roman, Kokis ayant même plutôt péché par excès, dont le moindre n’est pas d’avoir donné naissance à quarante-huit personnages.

L’histoire pourtant fort originale voit se rencontrer à Gênes, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, des artistes de cirque, rescapés des camps de concentration, des traîtres juifs et des nazis en fuite; on ne retient du récit que le contour des traits d’un petit nombre. Directeur d’un cirque décrépit, davantage un rassemblement de saltimbanques et d’animaux mal nourris qui attend des heures meilleures dans une banlieue de Gênes, Alberti a bon espoir que la fin de la guerre signe la renaissance du Circus Alberti. Lorsqu’il est approché par son ami Léon, un compatriote juif qui fait désormais fortune en Argentine et qui offre de payer le transport de toute la troupe jusqu’à Buenos Aires, le directeur s’abandonne tout comme les autres artistes au rêve américain. Mais le rêve a un prix, bien sûr. Léon fera en sorte que tous les membres du Cirque aient des papiers en règle (pas une mince affaire étant donné que certains ont de faux papiers, d’autres n’en ont pas, d’autres encore ne sont même pas certains de leur nationalité), en échange de quoi Alberti devra accepter que s’immiscent dans la troupe des officiers nazis en fuite. Parmi ceux-là, Kurt Gross, alias Arcadi, médecin S.S. qui se fait passer pour un Russe, et qui profite de son séjour dans la troupe pour séduire une écuyère, Katia Fisher, qu’il baisera, et engrossera, sadiquement, en la traitant de truie juive.
De cette reation malade, qui aurait pu à elle seule faire un roman, on n’en saura trop peu. De même qu’on reste sur notre faim à suivre les rapports qu’entretiennent entre eux des dizaines de personnages: amourettes et grandes amours, amitiés profondes, rapports de force, rapports haineux, rapports hypocrites, souvenirs cauchemardesques et désirs de vengeance: tout veut se dire.

Mais par-delà l’ambitieuse distribution que ne semble pas maîtriser l’auteur, c’est toute la narration qui est déficiente, l’écriture refusant de se soulever, suggérant les émotions sans parvenir à les afficher, se campant presque tout du long dans des descriptions au présent qui ne font que renforcer le sentiment d’ennui que l’on finit par ressentir. Il est louable qu’un roman s’attaque à autant de réalités et prenne le pari d’en faire peut-être une grande oeuvre. Espérons que la suite présentera un narrateur mieux incarné (soit observateur, soit omniscient) qui ne tanguera pas comme il le fait souvent ici entre les certitudes et les suppositions («Loki et la jolie Fili, les deux autres nains, sont encore dans leur chambre, peut-être même sous les couvertures à cuver le vin de la veille»; «Gina et Katia avancent main dans la main, suivies un peu plus loin du dompteur et du mime. C’est évident qu’elles sont heureuses, surtout que Gina vient juste d’apprendre qu’elle a failli ne pas partir avec les autres. Elles rient en se racontant des choses sans doute bien enfantines.»). Souhaitons un point de vue assez solide pour qu’accepte de s’y abandonner le lecteur.

Éd. XYZ, 2000, 378 p.