Maurice G. Dantec : Le Théâtre des opérations
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Maurice G. Dantec : Le Théâtre des opérations

Rares fragments d’intimité, tirades revanchardes explosives, propos mystiques fumeux, rafraîchissants débordements poétiques et déroutantes réflexions sociologiques sont au menu de ce Théâtre des opérations, sorte de journal impudique qui fait état des observations éclectiques d’un écrivain hors norme, sur une période déterminante: la dernière année du second  millénaire.

Rares fragments d’intimité, tirades revanchardes explosives, propos mystiques fumeux, rafraîchissants débordements poétiques et déroutantes réflexions sociologiques sont au menu de ce Théâtre des opérations, sorte de journal impudique qui fait état des observations éclectiques d’un écrivain hors norme, sur une période déterminante: la dernière année du second millénaire.

J’ai suivi, presque comme un fan de rock star, l’évolution de la carrière du romancier Maurice G. Dantec. Un écrivain de langue française réussissait enfin à me proposer une oeuvre qui transcendait les frontières géographiques, les époques historiques et les genres littéraires, tout en foulant le riche et obscur terroir des idées.

Son premier roman, La Sirène rouge (1993), se voulait une réponse à une commande du directeur de la Série Noire. La graine hybride du polar cyberpolitique était plantée. Les Racines du mal (1995), dans la même collection, verront bourgeonner un style métissé, accommodant les visées philosophiques et les visions technologiques du futur immigrant canadien. Avec Babylon Babies (La Noire, 1999), le nouvel exilé montréalais accomplira la quadrature du cercle, réconciliant la science-fiction et le roman noir, l’engouement du public et la reconnaissance de la critique.

Notre mercenaire subversif favori vient cette fois de lancer un gros pavé touffu, lardé de mauvaises herbes et de fleurs rares. Ce Journal métaphysique et polémique, comme l’indique pertinemment le sous-titre, s’avérera vite plus prétentieux qu’intelligent. Le guérillero Dantec, embusqué derrière l’écran de son ordinateur, mitraille, sans trop de discernement, tout ce qui bouge autour de lui, gaspillant souvent ses munitions. Il nous éclaire sur la Yougoslavie, mais il sème le doute quant à sa perception, parfois naïve, de l’Amérique. La frénésie du franc-tireur l’aveugle au point que notre soldat de la vérité échappe quelques mensonges (tu nous recommandes de nous abreuver à la source de la culture es premières nations chez l’écrivain Tony Hillerman qui n’est toutefois pas amérindien, Maurice!) et exécute des innocents (en commettant des erreurs sur la personne). Il faut un minimum de rigueur pour se livrer librement et impunément aux joies de la polémique. Malheureusement, Dantec finit par verser dans la démagogie qu’il condamne pourtant. C’est parfois difficile d’assumer ses contradictions!

Candidement, l’écrivain laisse entendre à un moment donné qu’il a dû pondre ce livre rapidement, pour répondre à ses nouvelles obligations contractuelles avec son éditeur, qui, nous le comprenons, n’a pas eu de scrupules à presser le citron du succès de Dantec et à publier ces envolées délirantes, où le nihilisme rivalise avec la thermodynamique.

Ces rapports de séances de masturbation intellectuelle compulsive nous procurent néanmoins de nombreux spasmes d’orgasmes extra-lucides. C’est que, démesurément, sauvagement, malgré tout, Maurice G. Dantec a du talent.

Éd. Gallimard, 2000, 647 p.