Amélie Nothomb : Métaphysique des tubes
Il est toujours agaçant de lire des phrases extraites de romans, comme si elles pouvaient les résumer. Encore plus difficile de rendre ceux d’Amélie Nothomb en quelques mots. "Ensuite, il ne s’est plus rien passé." Voilà l’unique phrase que l’on retrouve sur la quatrième de couverture de Métaphysique des tubes.
Il est toujours agaçant de lire des phrases extraites de romans, comme si elles pouvaient les résumer. Encore plus difficile de rendre ceux d’Amélie Nothomb en quelques mots. "Ensuite, il ne s’est plus rien passé." Voilà l’unique phrase que l’on retrouve sur la quatrième de couverture de Métaphysique des tubes.
Cela n’a rien à voir avec l’action de ce roman que l’on pourrait presque qualifier d’expérimental. La narratrice est un bébé fille surnommée La Plante, parce qu’elle n’est qu’un tuyau qui ingurgite et dégurgite, et que rien ne l’intéresse dans la vie que de se nourrir. Un peu faiblot comme récit. Mais vous vous doutez que l’essentiel est dans l’écriture, dans le ton si propre à la jeune romancière, qui écrit plus vite que son ombre, mais qui n’a rien fait encore d’aussi fort que son premier roman, Hygiène de l’assassin. Ce qui n’empêche pas qu’elle écrive de bons livres, pleins d’esprit et pétillants d’intelligence.
Cette Métaphysique des tubes raconte donc les premières années de la vie d’Amélie – puisqu’elle présente ce roman comme une autobiographie de zéro à trois ans. "Au commencement, la mère avait essayé de lui donner le sein. Aucune lueur ne s’était éveillée dans l’oeil du bébé à la vue de la mamelle nourricière: il resta nez à nez avec cette dernière sans rien en faire." Le bébé, un dieu qui règne sur ses sujets au milieu du jardin et de la maison, reste inerte, silencieux, sans expression; sauf quand sa grand-mere vient le gaver de douceurs, seule volupté, écrit-elle, permise aux enfants.
À travers les prouesses tubulaires de sa vie périnatale, Amélie raconte l’arrivée au Japon de sa famille, dans la province du Kansai, alors que son père vient y exercer ses fonctions de diplomate. Assistant les parents trop occupés, Nashio-San veille avec amour sur bébé Amélie, devenue objet de culte au sein de cette drôle de famille. Et surtout, c’est en japonais que la petite découvre les fleurs, les couleurs, la douceur de vivre, la vie, quoi. "Très vite, je choisis mon camp: entre des parents qui me traitaient comme les autres et une gouvernante qui me divinisait, il n’y avait pas à hésiter. Je serai japonaise."
Mais on veut aussi qu’Amélie se cultive. Elle ira voir son papa au théâtre, ce qui vaut quelques pages hilarantes sur le nô: "Puis il se mit à chanter. Je réprimai une expression de terreur. Quels étaient donc ces sons bizarres et effrayants qui sortaient de son ventre? Quelle était celle langue incompréhensible? Pourquoi la voix paternelle s’était-elle transformée en cette plainte méconnaissable? Que lui était-il arrivé? J’avais envie de pleurer comme devant un accident."
Le roman de Nothomb est plein de moments délicieux, drôles; l’ensemble frise d’ailleurs parfois la parodie, comme si tout dans la vie de ce personnage que construit méticuleusement l’auteure était risible, caricatural, grotesque. Alors qu’à ses débuts, la jeune Nothomb personnifiait une romancière impertinente mais sérieuse, et appliquée (notamment sur le plan de la langue, de l’écriture), apparaît peu à peu une autre Amélie. Comme si les livres, se succédant, laissaient émerger une créatrice fantasque, excentrique, mais véritablement anticonformiste.
Éd. Albin Michel, 2000, 171 p.