Cahier d'été / L'Envie : Les mots de l'âme
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Cahier d’été / L’Envie : Les mots de l’âme

Deux premiers livres ont pour sujets la littérature et l’écriture. Inspiration ou prison, ce thème est populaire auprès des écrivains: My Lan To (Cahier d’été) et Hugo Roy (L’Envie) n’échappent pas au phénomène.

Depuis des lustres, ce qui inspire le plus les jeunes romanciers, c’est la littérature. Dans la Grèce antique, chez les romantiques ou parmi les écrivains du vingtième siècle, l’étincelle surgit très souvent par un contact révélateur avec le texte, ou encore avec son auteur.
C’est un peu ce que figurent les premières oeuvres de My Lan To et d’Hugo Roy, des livres qui ne se ressemblent pas, qui sont même aux antipodes l’un de l’autre.

Cahier d’été, écrit par une étudiante en médecine, fait le récit d’un moment dans la vie d’un garçon, un été en apparence des plus banals; pourtant, pendant les vacances familiales au chalet, Gabriel, adolescent, se découvre et, surtout, trouve en lui quelque chose de fort, un besoin d’écrire, de lire sa propre histoire. "Je n’écrirai pas pour l’autre mais pour moi, car je suis la base, la racine, et je ne veux pas que ma fleur meure. Il faut que sa sève soit riche et constante pour qu’elle survive, que jamais elle ne se fane. (…) Je veux écrire une histoire dans laquelle chaque mot sera moi. Histoire miroir."

À travers le quotidien familial, les dîners, les moments passés à écouter son jeune frère Antoine, les balades dans les alentours, une voix émerge. Puis, plus le récit se déroule, plus l’on sent qu’une identité apparaît aussi, son évolution se liant étroitement à la démarche d’écriture que suit le jeune homme. "Plus l’idée de moi se forge, plus je m’éloigne des autres."

Étape nécessaire dans la vie de tout être humain que ce moment narcissique mais capital, où l’on fait la découverte de soi: voilà le coeur de ce court récit, simple, dépouillé, mais riche de tous ces sentiments qui agitent l’âme de tous les adolescents.

De plus, My Lan To porte une attention particulière à l’écriture, aux images, poétiques et originales. "J’écris dans un épais cahier d’écolier, sur les feuilles lignées à l’encre bleue. Je n’écris pas à l’encre. Je voudrais écrire avec mon sang, à même mon doigt. C’est beau, le rouge. Non, j’écris à la plombagine. Plombagine. Un beau mot. Une colombe plombagine traversa l’azur de ma tête, y fut tuée, silencieusement s’y écroula."

L’écriture constitue chez My Lan To un "projet", à travers lequel se réalise le jeune narrateur. Chez Hugo Roy, l’écriture joue un tout autre rôle, mais n’en est pas moins au coeur de l’action. L’Envie, dans un registre beaucoup moins grave que Cahier d’été, raconte l’histoire rocambolesque d’un trafiquant d’art, Claude Dufort, travaillant avec des mafieux italiens. Il admire un certain Louis Dugal, romancier invisible, qui a toutes les caractéristiques de Réjean Ducharme, et auquel il veut inspirer son plus grand roman, en mettant en scène une intrigue policière. Pas une mince affaire…

La femme de ce grand écrivain s’appelle Catastrophe, ce qui, plus que tout, confirme la parenté littéraire avec Ducharme (pensons à ses héroïnes : Constance Chlore, Petit Pois, Chateaugué, etc.). Catastrophe deviendra l’amie de ce trafiquant, qui, lui, aimerait bien en faire son amante. Bref, c’est un trio dont le troisième élément est physiquement absent, mais symboliquement, il prend toute la place: une copine s’appelle Bérénice (comme l’héroïne de L’Avalée des avalés); Dugal est né à Saint-Félix (Ducharme, à Saint-Félix-de-Valois); ses oeuvres d’art sont faites à partir de matériaux recyclés (comme celles de Roch Plante, alias Réjean Ducharme), etc.

Cris et chuchotements
On aura compris que ce roman d’Hugo Roy, 30 ans, prof de littérature, est un hommage à Ducharme, à son mythe, surtout. Et, bon point pour lui, il n’imite jamais le style de son héros, ce que bien des auteurs québécois qui s’en inspirent ne réussissent pas à éviter. De ce côté-là, Roy possède donc un style bien à lui: bavard, très imagé, et parfois bouffon. "J’entrepris la lecture du second cahier glissé dans ma serviette en écoutant la voix de Marie-Jo Thério sur une route de Cocagne. Les quelques fois où je l’avais aperçue, rêvassant dans un coin du Porté disparu, j’avais dû faire des efforts surhumains pour ne pas l’inviter à danser, là, au milieu des tables – danser avec une jolie femme à travers une foule médusée est depuis toujours l’un de mes fantasmes les plus insistants."

Hugo Roy a bourré son roman de personnages, de situations, de récits gigognes: l’affaire Dugal, faisant écho à celle qui ébranla le milieu littéraire quand Ducharme fut refusé par les éditeurs québécois et publié chez Gallimard, mais aussi l’enquête de la CECO, ou encore la découverte chez un ministre hollandais d’une toile disparue de Gustave Courbet, etc. Pas de doute, l’auteur a une imagination fertile, mais l’histoire, dommage, part dans trop de directions, l’accumulation des récits ne parvenant pas à constituer un tout, ce qu’exige la forme du roman.

Les références à la production littéraire dans L’Envie sont nombreuses. "Comme dans tout le reste de ma vie, mon rapport aux livres était imprégné d’envie. (…) Ce qui me faisait tourner les pages du Chien des Baskerville avec anxiété, c’était mon envie de ressembler à Holmes, d’avoir son flair, son intelligence, bref, d’incarner, moi aussi, les qualités qui le rendaient si puissant." Le narrateur envie aussi "l’insolence de Robin des Bois, la ténacité d’Edmond Dantès et la perspicace assurance d’Arsène Lupin". Le narrateur envie tous ces héros, qui l’inspirent, lui qui appelle son chat Rastignac!

Beaucoup d’intentions dans ce livre, mais l’écriture débridée, parfois ampoulée ("La séduction était, selon elle, aussi complexe que la situation d’échange intense que les personnes qui s’y abandonnent espèrent mettre en marche"), sème la confusion dans l’ensemble.

Ces deux livres témoignent d’un désir fort, d’une volonté d’expression, moteurs nécessaires de l’écriture. Alors que le premier narrateur aura besoin de sortir de sa coquille pour s’épanouir comme écrivain, le second devrait faire taire toutes les voix qui l’entourent (l’étouffent?) pour écouter la sienne, visiblement passionnée, mais encore secrète.?

Cahier d’été
de My Lan To
Éd. Triptyque, 2000, 91 p.

L’Envie
d’Hugo Roy
Éd. du Boréal, 2000, 205 p.