Raymond Carver : Qu'est-ce que vous voulez voir?
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Raymond Carver : Qu’est-ce que vous voulez voir?

"Cette fois, c’est vraiment la fin", annonce la poétesse Tess Gallagher dans la postface de Qu’est-ce que vous voulez voir?. Avec cet inattendu recueil posthume, composé de cinq nouvelles retrouvées par la veuve de l’écrivain, une décennie après sa mort, se ferme la manne des inédits dormant dans les tiroirs de Raymond Carver.

"Cette fois, c’est vraiment la fin", annonce la poétesse Tess Gallagher dans la postface de Qu’est-ce que vous voulez voir?. Avec cet inattendu recueil posthume, composé de cinq nouvelles retrouvées par la veuve de l’écrivain, une décennie après sa mort, se ferme la manne des inédits dormant dans les tiroirs de Raymond Carver. L’auteur des Vitamines du bonheur, qui remettait son ouvrage cent fois sur le métier, aurait-il désavoué la publication de ces nouvelles en l’état? Dans l’impossibilité de répondre à cette question, contentons-nous de profiter de cette dernière chance de lire du nouveau Carver…
Il flotte aussi un sentiment de finalité, d’ultime chance, sur ces cinq récits qui tracent un univers assez homogène. La nouvelle éponyme et Appelle si tu as besoin de moi examinent ainsi les derniers jours de couples sur le bord de la rupture, qui s’offrent une dernière tentative de sauver leur ménage. Dans Du bois pour l’hiver, un homme qui émerge des brumes de l’alcoolisme (et le livre n’est pas avare d’alcooliques repentis, échos d’une période de la vie de l’auteur), chassé par sa femme, tente de repartir à zéro, cherchant le salut dans le débitage d’un tas de bois…
On reconnaît donc les thèmes, le ton de Carver. Toujours ces personnages défaits par la vie, traînant un passé d’éthylisme, d’échecs conjugaux, de déménagements à la sauvette, ici saisis dans un moment transitoire. Si des événements inattendus, tragiques ou banals, servent d’images révélatrices – deux incendies, dont un déchirant qui tue deux enfants, la panne d’une génératrice, l’irruption de chevaux en fuite dans un jardin… -, le destin de ces personnages est mis en jeu avec une économie de mots, sans grands épanchements spectaculaires, avec une sorte de pudeur compassionnelle. L’essentiel court entre les lignes.
Pas de disputes ou de grandes déclarations chez les couples qui vivent une mort annoncée. Juste le sentiment de quelque chose qui s’éteint, de quelque chose d’irrémédiablement brisé. Ces catastrophes intimes sont sans appel comme sans explication. La mésentente conjugale est un fait accompli qui précède le début de la nouvelle, et dont on ne pourra que dresser un ultime constat.
Dans Qu’est-ce que vous voulez voir?, les protagonistes passent leur dernière soirée ensemble chez les propriétaires de la maison qu’ils ont louée, devant un show de diapositives consacré aux voyages de leurs hôtes… "Une belle soirée que je n’oublierai pas", conclut la femme de ce couple au seuil d’une séparation. Et c’est ce à quoi ressemblent ces derniers instants: des souvenirs à conserver de quelque chose qui est déjà perdu.
Inachevées, certes, mais ces nouvelles tiennent bien la route, malgré de menues inconsistances ici et là, malgré aussi des chutes qui, note Tess Gallagher, "avaient été laissées dans l’état où on laisse un repas quand le téléphone sonne". En suspens, en quelque sorte. Un peu comme la vie de l’écrivain lui-même, qui nous aura lâchés à tout juste cinquante ans. Autant savourer son dernier legs.

Traduit de l’anglais par François Lasquin, Éd. de l’Olivier, 2000, 133 p.