Alice court avec René : L’école de la vie
Quatre ans après C’est pas moi, je le jure!, ce premier roman qui recevait un accueil exceptionnellement chaleureux et remportait le Prix des libraires 1998 et le Prix France-Québec/Philippe-Roussillon 1998, Bruno Hébert revient à la charge. Il n’en a pas encore fini avec Léon, ce jeune antihéros original, grand amateur de bonbons, un peu cleptomane, un peu délinquant, très précoce en amour.
C’est le 3 septembre 1969, et ça ne va pas très bien dans le monde. La compagnie Ford vient d’annoncer qu’elle abandonnait la fabrication de son modèle Falcon; en Indiana, Rocky Marciano est mort au volant de sa Lincoln; au Viêt Nam, où le nombre de morts a atteint les deux millions, les Américains commencent à songer à lever le camp. "Si jamais ils se tirent de là, il va y avoir un grand vide dans le bulletin télévisé." C’est le 3 septembre 1969, les mauvaises nouvelles sont nombreuses, mais pour Léon Doré, le jeune héros dont nous avions suivi les péripéties de la petite enfance dans C’est pas moi, je le jure! (Boréal, 1997), il y a bien pire en ce jour fatidique. "Aujourd’hui, raconte-t-il, la mort dans l’âme, c’est la rentrée." Et la rentrée, ça signifie pour cet éternel dernier de classe le début d’un calvaire qui va s’étirer pendant dix interminables mois.
Quatre ans après C’est pas moi, je le jure!, ce premier roman qui recevait un accueil exceptionnellement chaleureux et remportait le Prix des libraires 1998 et le Prix France-Québec/Philippe-Roussillon 1998, Bruno Hébert revient à la charge. Il n’en a pas encore fini avec Léon, ce jeune antihéros original, grand amateur de bonbons, un peu cleptomane, un peu délinquant, très précoce en amour. Cette fois, c’est le récit de sa cinquième année scolaire qu’il nous fait. Une année marquée par les échecs et les conflits avec les autres, avec, en toile de fond, la banlieue (Beloeil), la fin des années soixante, l’époque de "l’école active". La vie, pour Léon, devient un cauchemar dès qu’il met les pieds dans la cour de l’école. Il y a les difficultés d’apprentissage qui minent sa vie depuis la maternelle ("Je suis incapable de lire une phrase, même aussi simple que "Alice court avec René""), il y a Clarence, l’amour de son enfance, qui l’ignore désormais cruellement, et surtout Thibault, Raton et Lefebvre, le trio infernal qui harcèle Léon sans arrêt, le tabasse et l’humilie tant et si bien que Léon ne trouve d’autres solutions que de voler quarante dollars à sa mère pour payer un "grand" afin qu’il le protége. "Violences et cruautés, tortures et humiliations sont des réalités écolières, raconte Léon." On le croit sur parole.
Dans cette petite jungle où l’on risque sa vie à chaque récréation, Léon, totalement désarmé, trouve une soupape en mentant à tout le monde, en volant de l’argent de plus en plus régulièrement, en se mettant dans des situations infernales – et parfois très dangereuses – dont il n’arrive plus à se dépêtrer. Personne, ni les professeurs, ni le directeur, ni les parents, n’a la présence d’esprit de voir dans son comportement des appels à l’aide.
Par sa simplicité, sa linéarité, ses accents de "faits vécus", Alice court avec René est un récit qui touchera profondément les lecteurs qui n’ont pas oublié leurs grosses peines d’enfant. Bruno Hébert y a mis une sensibilité vraiment très fine, un humour tendre, une pointe de tristesse, et une profonde compréhension de la réalité de ces enfants qu’on appellerait, aujourd’hui, des rejects.
Éd. Boréal, 2000, 133 p.